lundi 7 octobre 2024

Retour de l'école

  Nous allons à l’école au bourg, éloigné d’un peu plus d’un kilomètre, nous y allons à pied ou à vélo. En CP je suis chez les « Bonnes Sœurs » c'est comme cela qu'on appelle les religieuses qui gèrent l'école privée. Mes parents sont croyants et mon père rendant service à cette école, c'est naturellement que l'on nous y met. Très peu de souvenirs dans cet environnement, si ce n’est le verre de lait que l’on nous sert au goûter. J’ai horreur du lait ! Puis il y eut un différend avec ces « Bonnes Sœurs » et mon père; nous avons donc intégré l'école laïque.

Vêtus de blouse grise, chaussés de brodequins, nous nous mettons en rang dans la cour au son de la cloche. Entrant dans la classe, l'odeur de l'encre dans les encriers en porcelaine, celle de la cire sur les bureaux en bois, nous chatouillent nos sens olfactifs. Sur le grand tableau noir une carte de France accrochée  avec ses couleurs vertes et marron striées d'un bleu dessinant les fleuves. Au milieu trône le poêle, son tuyau serpentant jusqu'à une fenêtre. Le matin, chacun son tour, nous allumons ce foyer. Là, règne une discipline de fer qui n'a rien à voir avec le pouvoir des élèves plus tard. Nous avons un maître, le directeur de l'école, qui n'hésite pas à pratiquer les punitions corporelles pour se faire respecter. Je n'ai jamais eu ce genre de punition car je ne suis pas dissipé, mais je regarde avec compassion les épreuves que doivent subir certains de mes camarades. C'est faire le tour de la cour transportant des seaux remplis de charbon jusqu'à épuisement, recevoir des coups de scions que ce prof va chercher sur la haie bordant l'école. Je ne comprends pas les enfants qui malgré tout continuent à faire les fous comme mettre de la colle sur la chaise de leur voisin quand celui-ci est debout à répondre aux questions de l'instituteur. C’est un monde dur à cette époque, les familles nombreuses, souvent les enfants se débrouillent comme ils peuvent. Ils sont habitués aux coups. Ce maitre est encore plus sévère avec son fils. Qui oserait se plaindre à ses parents?

Au retour de l’école nous rejoignons le champ où mes parents traient les vaches à la main. Les odeurs âcres du lait et acide des bouses vous agressent les narines. Contre une haie sont rangés des bidons qu'on appelle chone (enfin phonétiquement, ce mot n'existant que dans le patois local). Des nuages de guibets (tiens! Word ne connaît pas !), petits moustiques, viennent sur votre tête et vous démangent à s'en gratter jusqu'au sang. Bien sûr il y a aussi les vaches qui battent de la queue, ou jouent de leurs oreilles pour éloigner les mouches. Ces insectes viennent se noyer dans le bidon de lait ou la crème commence à monter formant des images géographiques jaunâtres sur la surface du liquide. Les vaches sont calmes en général et se laissent approcher par la personne qui va les traire, cette dernière tenant d’une main un seau de l’autre un tabouret en bois s’assied calant sa tête contre la hanche de l’animal. Les jets de lait contre l’inox produisent une musique saccadée devenant de plus en plus sourde le seau se remplissant. Ce rituel se produit matin et soir. Les vaches sont le moteur économique de notre vie; quand un défaut d’argent se profile mon père lance toujours sa réplique : "on n'a qu'à vendre une ou deux vaches". Ma mère, plus gestionnaire, pousse de hauts cris arguant : « on ne touche pas au capital ! ». Je pense que c'est plutôt une forme de dialogue, mon père disant cela afin de s’assurer que le capital est bien là, et ma mère abondant en son sens en lançant sa réplique. En fait c'est le secret de la complicité d'un couple. Je suis attentif à ce genre de comportement.

Lorsque nous rentrons de nuit de l’école, nous avons pas mal de route déserte à faire. Nous nous faisons peur en regardant les arbres sur les haies, notre imagination galopante nous fait voir des hommes avec des grands bras ; nous restons donc serrés les uns contre les autres pour faire corps si une attaque survenait. Que dire lorsque nous passons près du petit bois ; là ce n'est plus la solidarité qui prime, mais chacun pousse l'autre pour ne pas être au plus près de cette masse sombre où grouillent monstres et autres bêtes fantastiques, mais nous survivons et arrivant à la maison nous sommes des héros en puissance d’avoir vaincu ces ennemis.

jeudi 8 avril 2021

Ainsi va la vie.

  Il fait chaud sous le soleil qui tape sur la tête malgré la casquette épaisse. Marcel travaille aux champs, son père l’a mis à quatorze ans comme commis dans une ferme. Il respire la santé après quatre ans de travaux de force en plein air. Apprenant son métier au fil du temps. Il aime les bêtes et travailler la terre.

Mais Marcel est préoccupé, il veut marier la Denise et il lui faudra gagner plus d’argent. Ce n’est pas son salaire de misère qui fera vivre le couple. Alors il y a l’autre solution. L’usine. Tous ses copains y vont ,surtout à l’usine d’amiante où on paie plus qu’ailleurs. Les avantages sont nombreux, toucher son salaire quoiqu’il arrive, avoir des congés et payés en plus ce qu’il a du mal à comprendre; sa vie sera réglée; plus besoin de regarder le ciel pour voir ce qu’il lui réserve.
Donc demain il prendra son vélo et descendra dans la vallée pour y rencontrer le nouveau contexte de sa vie professionnelle.La paie est bonne. Lui et sa femme peuvent faire des projets. Ils vont à la banque pour contracter un emprunt qui leur permet d’acheter une petite maison à l’orée du bourg. Doucement la vie prend ses marques, lui, régulier dans ses horaires, part et revient du travail pendant que Denise s’occupe de la maison et s’entraide avec ses amies. Le soir, en montant la côte raide de la vallée, Marcel fait des projets dans sa tête, il est heureux et rien ne peut gâcher son bonheur.

Il lui a bien fallu s’habituer à la chaleur de l’usine, surtout à cette poussière suffocante au début, maintenant c’est devenu sa compagne de travail, cette poussière il l’a ramène même chez lui et sa femme a du mal à laver cette poudre grise. Mais ce n’est pas ces petits inconvénients qui entament la joie de notre homme. Les jours passent succédant aux mois et aux années. Un bébé est venu animer la maison.La montée est de plus en plus difficile, Marcel s’essouffle plus rapidement, le poids des ans sourit-il optimiste même si une toux insistante vient troubler sa quiétude. Une rumeur commence à poindre dans le village, deux hommes arrivant à la retraite sont morts malades des poumons, ils travaillaient à l’usine de Marcel. Ce dernier se dit qu’ils n’étaient pas si robustes que cela ; ils buvaient aussi pour étancher toute cette poussière accumulée dans leur gorge. En haut de la vallée, quand le vent vient de l’ouest, on sent parfois l’odeur que disperse cette brise, « l’odeur du Roqueret dit-on! » lieu où est implantée l’usine.

Les rumeurs circulent mais on ne dit pas de mal d’une entreprise qui donne du travail à la majeure partie de la région et permet au bourg de se développer. Marcel devient de plus en plus sombre, le matin il a des quintes de toux en se levant. Sa femme s’inquiète. Cette poussière semble avoir raison de l’optimiste de l’homme; en fait de compagne elle devient petit à petit une ennemie à son bonheur. Un jour il se décide d’aller voir son médecin. Ce dernier lui rétorque que c’est un mauvais passage qu’avec un peu de sirop ça va passer. Ce praticien voit passer de plus en plus de gens comme Marcel mais il ne cherche pas à comprendre les raisons; se ralliant à l’opinion publique comme quoi l’usine fait vivre le village. Dans ce monde d’origine paysanne et chrétienne on ne critique pas ceux qui donnent du travail aux populations.De plus en plus de personnes meurent de ce qu’on n’appelle pas encore le cancer de l’amiante. Dans le village il était de coutume de dire « les gars de l’usine passent rarement la première année de retraite ! » Comme si le mal à l’intérieur des corps se révoltait pour un besoin d’amiante.

Si je raconte cela aujourd’hui c’est que je suis tombé sur l’interview d’un type qui a fait un documentaire sur l’amiante. Il est parti du journal intime de son père retrouvé une dizaine d’année après la mort de l’auteur. Son père ne bossait pas à l’usine, il était instit puis proviseur, son amiantage (mot vulgaire !) il l’a eu dans l’école où il travaillait. En échange d’aide financière on lui a demandé le silence sur le lieu.Il y a deux ou trois ans en prenant le train j’ai croisé des gens qui parlaient du pays, je les ai accosté pour leur demander d’où ils étaient ; c’étaient des syndicalistes de Condé-sur-noireau ils venaient régulièrement à Paris négocier des indemnités pour les amiantés. Le grand public a commencé à en entendre parler dans les années 70. Des chercheurs de l’université de Jussieu à Paris se plaignaient de poussières qui venaient troubler leurs expériences chimiques. Il a fallu attendre encore 20 ans pour que le scandale éclate vraiment et que l’on s’aperçoive que les industriels et experts à leurs bottes savaient mais ont continué à exploiter et nier la dangerosité de ce produit. Je n’ai pas le courage de parler de ces criminels impunis.

Et le Marcel dans tout ça ? Vous me direz ! Il a profité de sa retraite étant pris assez tôt pour que l’on sauve un de ses poumons. Accroché à sa bouteille d’oxygène, il regardait les paysans travaillant leurs champs en se disant, avec un soupçon de regret, « ainsi va la vie ! ».

samedi 3 avril 2021

Départ pour l'école

  Le soleil rouge  embrase l’horizon, ses rayons illuminent les milliers de gouttes de rosée sur l’herbe et les toiles d’araignée. La prairie recrache la chaleur accumulée de sa terre formant un manteau vaporeux. L’air recèle des relents de moissons mélangés à cette odeur enivrante des débuts d’automne faite de parfum de terre labourée et de feuilles en décomposition. Je prends une profonde inspiration pour me nourrir de ce nectar.

Nous quatre montons dans la voiture chargés de nos sacs. Le véhicule démarre pour sortir de la ferme empruntant le chemin de terre qui nous conduira à la route. Encore enveloppés d’une partie de nos rêves, l’ambiance est calme. Seul mon père, levé depuis plus de 3 heures, est dans la réalité. En chemin je ne perds pas une image de la nature qui dans quelques jours va exploser de couleurs rougeoyantes. Je m’en imprègne sachant que je serais enfermé toute la journée.
Le trajet est court pour arriver sur la place du village. La voiture nous y déverse avec une « bonne journée ! »  de mon père en guise d’encouragement. Déjà des petits groupes d’enfants et d’adolescents se trouvent là dans des murmures et quelques rires; en général nous sommes calmes le matin.

Quelques minutes puis un car arrive pétaradant dans un nuage de fumée noire.

Les cars Morand (« les cormorans souri-ai-je ayant attrapé cette maladie du jeu de mot qui ne me quitte plus ») est une petite entreprise de 4 personnes, le père, la mère, le fils et la fille. Les Morand ont un vieux car bleu avec un très long nez (les cormorans !) On en voit dans des films relatant les années quarante et cinquante. Le car qui s’avance est plus petit, adapté au nombre de voyageurs.  C’est souvent le fils Émile, vêtu d’une blouse grise et d’une casquette, qui conduit. Le car comme le bonhomme font partie intégrante de l’équipage, le chauffeur étant une pièce, maitresse tout de même, de l’ensemble tant les deux sont de la même génération et du même gris.

Une fois installés le véhicule s’élance pour une nouvelle expédition. Nous empruntons la route qui mène à la grande ville. Le relief est  vallonné et toute pente descendante observe le même rituel, le chauffeur coupe le moteur en laissant la force emmagasinée et la déclivité entrainer la machine. Ce n’est que lorsque le car semble s’arrêter que les gaz sont remis. C’est toujours ça de gagner en carburant. Pendant le voyage Émile ne se contente pas de conduire. Il lâche le volant, se lève  et attrape la vitre à deux mains afin d’aérer ne reprenant les rênes que lorsque le car tutoie le fossé; range ses affaires sur le bord du pare-brise ; se lève pour donner un coup d’essuie-glace à l’aide d’une petite manivelle; se retourne au moins trente secondes pour sermonner les gens dissipés. Je le surveille attentif à tout ce qu’il fait espérant qu’il reste assis et assidu à sa conduite. C’est peine perdue, deux minutes plus tard il recommence le manège. « Il doit s’ennuyer assis, heureusement que le car connait la route ! » pensai-je.
En chemin nous nous arrêtons prendre des écoliers. L’habitacle se remplit complètement; les gens étant entassés debout. Sur le parcours nous arrivons à la grande montée. Les jours de neige, les véhicules sont souvent bloqués dans le fossé. Émile, lui, sa fierté est d’arriver en haut quelles que soient les intempéries (la conscience professionnelle certainement!). Nous aurions été  également fiers si ce n’est qu’une journée de congé pigmentée de bataille de boules de neige aurait pu nous être offerte sans ces exploits inutiles.

On arrive à l’entrée de l’agglomération, là un virage serré permet aux plus grands de se jeter d’un même côté, la force centrifuge aidant,  les roues d’un flan du car se soulèvent; avec un peu plus de vigueur le véhicule aurait pu basculer.

La première descente de voyageurs. Un attroupement se forme autour d’une fille qui s’est évanouie. Après enquête, elle s’est coincée le pouce dans la portière en montant. Elle a passé les cinq kilomètres sans rien dire, timidité des campagnes. Une fois la porte ouverte elle n’a pu que s’évanouir.

Le prochain arrêt est pour moi, j’espère toujours que personne nous regarde au dehors; on  nous traite déjà de bouseux, notre véhicule ne fait  que, sinon aggraver, du moins renforcer les sentiments des spectateurs. Le véhicule repart coupant là le cordon qui me relie à mon environnement familial.

Une journée d’école va commencer.

mardi 9 mars 2021

Cheval

  Je l’aperçois dans le soleil couchant, marchant d’un pas lourd. Ses sabots soulèvent des petits nuages de poussière qui s’évaporent aussitôt. Mon frère et moi courons vers lui. Ses muscles luisant de sueur brillent à la lumière. Rien ne peut arrêter cette masse qui, d’un pas fatigué, va rejoindre l’écurie. Mon père l’a dételé dans le champ et le cheval revient tout seul à son logis. Nous, enfants, dansons autour de lui mais rien ne perturbe la bête à part les mouches qui l'harcèlent sans arrêt. Il avance, bougeant la tête, renâclant et fouettant de sa queue, son pas est imperturbable, volontaire et décidé ; quelle puissance maitrisée ! Une odeur forte de musc et de sueur se dégage du percheron ; il a travaillé toute la journée.

Nous sommes dans la deuxième moitié des années cinquante.La vie est en train de changer dans ce monde de paysan. Cet étalon est le dernier, la modernisation arrive (au grand galop !) avec ses engins; je sens comme une nostalgie déjà. L’animal ne sera pas d’accord, son inutilité va lui poser des problèmes.

L’autre jour j’ai rencontré un type en costume cravate ; j’en avais vu en ville mais là dans la ferme avec ses chaussures cirées il détonait ; je m’attendais à ce qu’il demande son chemin. Après enquête c’était un commercial, un représentant en machine agricole. Il venait vendre un tracteur. On a eu un beau calendrier avec une Pin-Up et des machines rutilantes, c’est vrai que cela fait envie d’en posséder une (machine car je n’ai pas l’âge pour la femme qui est sur la photo) mais à quel prix?

Dans le champ les fenaisons tirent à leur fin, l’air embaume de cette odeur d’herbe séchée que le vent du sud amène vers la maison. Deux hommes et une femme soulèvent de grosses boules de foin et les laissent tomber dans le chariot, puis roulent de nouvelles charges sur l’herbe coupées. L’attelage avance doucement au fil des andains. Le pré se vide de sa couleur grise argentée pour laisser place au vert humide.

Le monde agricole bascule, la mécanisation est en route, inexorable, ceux qui ne vont pas suivre vont s’éteindre à petit feu. Les industriels et les banques l’ont compris depuis un bon bout de temps, ce monde aura besoin d’eux. La force paysanne va être une nouvelle clientèle et une manne.

Le soleil, à son zénith, est déjà accablant, les ouvriers rentrent ; la sueur et ses relents aigres envahissent la cuisine. Pas rare de voir une tablée de huit personnes, commis, homme de journée, bonne et voisins; tout ce beau monde va assister au festin de la mi-journée, ici les calories sont nécessaires et la chair est grasse et ruisselante. Le cidre malgré son peu d’alcool va faire tourner un peu la tête des invités et installer une bonne humeur générale. L’heure est à la communion et les commentaires vont bon train sur la vie du village. Puis au signal du maitre de maison tout le monde repart casquette ou foulard sur la tête.

Les machines arrivent, l’écurie devient garage. Petit à petit les fermes sont désertées; les commis et hommes de journée vont à l’usine faire les trois huit. Ils seront mieux rémunérés d’ailleurs et auront les congés payés. Le maitre de maison se retrouve seul, il n’est plus vraiment son patron. La banque n’a d’agricole que le nom et il faut travailler pour payer les traites, c’est un autre rythme à prendre. Le travail en lui-même est moins pénible mais les cadences s’accélèrent, les machines ne se reposent pas.

Au loin dans le soleil couchant un moteur emplit le soir de son bourdonnement. La journée s’étire lentement, l’ombre de la nuit s’avance. Le cheval, dans son enclos, dresse l’oreille et attend le retour de son maitre.

mercredi 3 février 2021

La messe

  Le rituel du dimanche, c’est la messe, rares sont ceux qui y échappent.

Nous entrons dans l’église , nous quatre enfants suivant notre mère comme des poussins une poule. La messe est déjà commencée et un silence, organisé par le prêtre, se fait. Nous prenons nos places sous les regards pleins de reproches des bigotes et de leur meneur. Ce que ne savent pas ce curé et sa cour, c’est que ma mère a fait la traite d’une trentaine de vaches à la main, nous a lavés et habillés.

Mon père nous emmène puis, comme beaucoup d’hommes, va au bistrot nous attendre. Il y a cinq bars dans le village c’est vous dire le choix ! Cette religion est faite par les hommes pour les hommes, ceux-ci s’affranchissent facilement de ce joug.

Contrairement les femmes sont éduquées pour obéir à une tradition. La plus part de celles-ci ont leur vie rythmée par ce dogme. La religion catholique est une des plus terribles, elle stigmatise tout plaisir et escapade si bien que vivre est un devoir et une rédemption à demander à chaque instant. 

Petit, je suis naïf en regardant le curé « servir la messe » je pense à une fonction divine. J’entends parler de miracle et suis subjugué par cet homme ayant les pouvoirs d’en faire. Bien sûr on me dit qu’il est habité par Dieu mais j’attends toujours le moment où Celui-ci va apparaître. Le fait d’être dite en latin ajoute à cet étonnant mystère. Je suis naïf c’est vrai, ça me joue des tours, mais j’aime quand même que des choses extraordinaires, comme changer l’eau en vin, se produisent devant moi. Cette fascination s’est évanouie le jour où, trainant sur la place du village à rêver comme d’habitude, le prêtre me prend par le bras et me déclare : « tu vas venir avec moi ; j’ai besoin d’un enfant de chœur pour un baptême! » Je ne me sens pas investi de cette mission je n’en ai pas le droit ! Ai-je eu envie de lui rétorquer mais il m’a surpris en finissant sa phrase : « tu verras c’est rien ! » « Ce n’est rien ! Me suis-je pensé comment est-ce possible ? ». Effectivement le baptême s’est passé, j’étais sur la scène des opérations et il n’y a pas eu de miracle. Depuis je ne suis plus fasciné et m’ennuie d’autant plus.

Ma hantise c’est la confession. Il faut avoir des péchés à avouer, je ne peux pas entrer dans le confessionnal en disant « je n’ai rien à dire ! » Cela aurait fait preuve d’orgueil, péché capital pour le coup. Il faut donc inventer des petits travers pour donner à « manger » au rédempteur. Je m’en sors avec deux Ave et un Pater comme s’il y avait un barème pour chaque péché ; le prête devant, avec une calculatrice, faire le compte. Pour un péché de chair le compteur devait exploser. Péché de chair ! C’est bien une invention de l’Église pour contrôler ce petit monde qui, pour certains, ne pourrait pas vivre sans lois dictées par une instance supérieure. Un dogme établi par des hommes qui ne sont pas sans reproche eux.

Petit à petit la messe est devenue une obligation et j’attends étape après étape que cela se termine pour être libre. Je découvre tout ce décorum et n’y crois plus du tout. De plus je vois des personnes descendre la nef, les mains jointes et la tête basse ; des gens qui, dans la vraie vie, ne sont pas si humbles que cela. Je me dis que Dieu lave plus blanc, qu’il suffit de s’absoudre de ses péchés pour repartir immaculé. Cette religion a maté beaucoup de bonne volonté. Nous naissons pécheurs ; faut faire amande honorable ; ceux qui prennent ces idées à la lettre ne sont pas libres et se donnent des barrières leur empêchant de jouir de leur vie. Se défaire de cette emprise qu’on nous inculte petit est compliqué je le comprendrai plus tard. Mon premier enfant né, je déclare à mon père que je ne le baptiserai pas, quelle ne fût pas sa colère, je ne m’y attendais pas. Lui me disant qu’on ne peut pas élever un enfant sans une instance supérieure et moi lui répondant que nous voulions avoir toutes les clés en mains pour, ma femme et moi, décider de son éducation. Ne voulant pas me fâcher pour des choses en lesquelles je ne crois pas je baptise mon enfant; pour mon père.

La religion est si insidieusement ancrée en nous, que plus tard encore je me verrai prier Dieu pour mon enfant malade. Cette prière sera forcée, du genre de dire qu’il faut tout essayer. Je n’y croirai pas car étant dans un hôpital pour enfant il faudrait une sacrée dose de croyance pour demander à Dieu de guérir tout ce petit monde innocent de péché.

Je ne serais pas complet, si j’omettais le fait que dans les années cinquante/soixante les curés ont un rôle social. Les Jeudi nous allons au patronage, peu ou pas d’associations existent ce sont donc les prêtes qui occupent les enfants pendant leurs loisirs. Pendant les grandes vacances je vais « en camp » organisé par le curé et j’en garde un bon souvenir ne me rappelant pas d’un prosélytisme de la part des membres de l’église. A noter que ces camps étaient essentiellement masculins ce qui conforte mon propos du début.

Combien de gens sont morts et meurent encore aujourd’hui pour cause de fanatisme de différentes religions?

mardi 12 janvier 2021

Routine!

   Paul prend le métro comme d'habitude, il est ailleurs, comme d'habitude aussi, présent en corps et en espace mais son esprit vagabonde.

Ce matin son réveil lui a distillé une musique:  "Ton histoire" d'Isabelle Boulay; ce n’est pas tellement son genre de musique, pas du tout même, mais cette voix chaude, cet accent, le souvenir qu'il a de la chanteuse rousse. Il soupire et tombe sous son charme. Il sait que cet air va le hanter une partie de la journée.  Il sait aussi que tout est question de contexte, surtout la musique, elle véhicule des embolies de sentiments, plus tard cela se transformera en souvenirs. Le décalage est énorme quand il pose son regard sur ces collègues de voyage.  Que pensent-ils eux? Ont-ils un refrain dans la tête? Des souvenirs. Il lève la tête et s'attarde à regarder ses voisins.

Le jeune cadre dynamique, costard cravate, tiré à quatre épingles. Son attaché case en accord avec sa montre et sa gourmette. Les cheveux gominés, les souliers cirés. Brillant à l'intérieur comme à l'extérieur. Il est déjà dans son job et  son regard vous snobe.

La femme qui se maquille plus chez elle, pas encore au travail. Elle prend l'espace temps, elle gomme, elle aplanit les rides de la nuit. Encore un peu de mascara, le miracle s'accomplit, elle rayonne. Elle peut affronter le monde des affaires.

Cet adolescent, le casque sur les oreilles, les yeux roulant sur sa petite console, il ne vous remarque même pas, vivant dans son monde virtuel. Il bat le rythme de sa musique avec sa tête, pianotant sur son engin comme s'il inventait la mélodie qu'il écoute. Il repartira sans laisser de trace.

Ce clochard qui en 2 minutes vous raconte sa vie, ses malheurs, sa haine de la société. Discours auquel il ne croit même plus. Il quémande, fait l'aumône vous tendant la main, passant sans s'arrêter. Une pièce par ici un ticket par là, son maigre butin lui fera espérer un jour meilleur.

"Ce monde souterrain, nouvelle génération de taupes nous sommes!" pense Paul.

Et son refrain lui hante sa mémoire.
Il voudrait, il en a besoin. Besoin de s'évader, de se dire ce n'est pas ma station mais je sors, je quitte ce monde monotone pour mon imaginaire.

Puis, d'un coup au signal sonore, Paul se lève, saute la porte, fait le pas en quelque sorte. Le pas, le seul, celui qu'il fallait oser, celui qui va le guider, l'emmener vers un monde. Un autre monde.
Il se retrouve seul sur le quai voyant ce long serpent de métal se fondre dans la nuit. Il est abasourdi d’avoir osé , hésitant un instant; une petite voix, celle de la raison, penseront les timorés, lui dit: "Attend le prochain tu pourras te remettre sur les rails de ta vie". Mais Paul ne l'écoute pas il sait que c'est le moment, jamais il n'aura plus d'occasions si belles, jamais plus il n'osera; donc c'est maintenant. 

La vie ne le poussera plus, c'est lui qui bousculera sa vie.

Un jour nouveau se lève en gravissant les marches, Paul se redresse, déchargé d'un fardeau invisible. Le poids des ans évidemment mais aussi le poids de la routine. Il se sent léger mais inquiet un peu, c'est vrai il a osé, le premier pas il l'a fait, mais il faut que d'autres suivent pour avancer dans son nouvel environnement.

D'abord se dit-il  prenons l'espace temps, plus cette contrainte; c'est déjà une grande liberté même si les habitudes étaient confortables en ce sens qu'on n'avait qu'à se laisser porter. Il décide donc de s'asseoir sur un banc public dans le square proche, c'est le printemps et les oiseaux sont déjà à leurs bavardages, leurs constructions et leurs amours; ce petit monde grouille pour qui veut les entendre, l'oreille peut être sélective, un petit effort et les bruits de la rue s'estompent laissant la place à ces sifflets et autres piaillements de moineaux.

Les arbres finissent de sécher leurs feuilles fraiches de rosées aux rayons du soleil naissant. Un air de fête envahit notre spectateur, il se remémore la chanson de Trenet :"Je chante".
Les gens pressés le regardent d'un air inquiet, troublant leur routine.

Ils n'aiment pas, les gens, qu’on s'arrête, essayez de vous arrêter sur un trottoir pour regarder un nuage rouler dans le ciel, on va vous apostropher, sans vous parler bien sûr, des réflexions vont fuser. Comme quoi vous empêchez les personnes de vaquer, de courir à leurs occupations, leurs obligations.
Obligations surtout, sinon ils seraient plus à l'écoute.

En face, un bruit l'interpelle, il vient de la boutique florale ;  un pot est tombé et les fleurs reprennent leur liberté sur ce macadam hostile. Paul se précipite, il commence à ramasser et former un bouquet anarchique; lorsqu'il lève la tête et tombe nez à nez avec une beauté. Un visage rayonnant le bonheur, lui sourit, un peu inquiet. Une chevelure de feu enflamme ce visage qui vous mange de ses yeux verts.

« Juste ces fleurs... tombées ... je ramassais; bredouille t'il !
 - Merci, ce n'est pas grave dit-elle en souriant, je vous remercie. »
 Paul, voit ce visage s’illuminer et reste bouche bée, les fleurs pendant au bout de son bras, il reste ainsi un bon moment jusqu'à ce que
 - Ça va monsieur? Venez, rentrez un peu vous reposer.
 Il l'a suit dans l'arrière boutique ou un petite table trône au milieu de la pièce, une gazinière dans le coin, coincée entre un petit frigo et une étagère. Il s’assit sur la chaise que lui présente la jeune femme.
 - Je m'appelle Véronique, Véro pour les proches.
 - Bonjour! Moi c'est Paul, excusez moi pour le dérangement!
 - Le dérangement? Mais non c'est moi qui vous invite, je vous offre à boire? Vous m'avez l'air de sortir d'un rêve ça va?
 - Oui merci, juste un peu déboussolé.

Maintenant ça va !

mercredi 23 décembre 2020

Hiver!

  De gros nuages noirs glissent dans le ciel, ils tutoient les arbres, la cime de ceux-ci ploie comme ne pouvant supporter le poids de cette masse aqueuse. Parfois le vent balaie ces nues pour découvrir une voute blanche, alors la clarté intensifie le jour, laissant espérer un bout de ciel bleu percé d'un doux rayon de soleil.

Henriette, à sa fenêtre regarde l’hiver arriver. Des hivers elle en a vécu beaucoup, plus qu’il n’en faut, se dit-elle. Je suis entrée profondément dans l’hiver de mon existence pense-t-elle dans un soupir. Elle déclare à qui veut l’entendre que sa place n’est plus ici ; Pourtant elle s’accroche à la vie.

Henriette est d’humeur joyeuse ce matin, demain c’est la Noël et la famille va arriver. Un moment de bonheur. Ces enfants aiment à se retrouver autour d’une table bien garnie, « c’est de moi qu’ils tiennent cela ! ». Aujourd’hui ce n’est pas elle qui va faire le repas elle est trop faible. Paulette est là pour la remplacer. Paulette est la bonne, bonne à tout faire : le ménage, la lessive, le repassage mais aussi les soins du corps d’Henriette et le social avec ses rapports sur la vie de la commune. « C’est mon couteau suisse ! » rigole Henriette qui ne manque pas d’ironie. Elle ne le dit pas à Paulette car celle-ci va croire qu’elle perd la tête. Paulette ne comprend pas le second degré, pour elle la vie est simple, il n’y a pas deux façons de dire les choses. Paulette n’est pas très instruite et pourtant avec ce qu’elle sait faire elle pourrait en remontrer à beaucoup. L’expérience est la meilleure des formations.

Alors Paulette fait la cuisine, pas son meilleur savoir grommelle Henriette qui, d’un bond sort de son fauteuil, elle a senti une odeur de brulé. Avançant lentement avec ses béquilles elle tance Paulette qui lit le journal à la table de la cuisine.  -  vous ne sentez pas que ça brûle ?  - Vous inquiétez pas ! Ça cuit ! - ça ne cuit pas! ça brule !   déclare Henriette en soulevant le couvercle. Je veux que cela soit parfait déclare–t’elle en retournant à son fauteuil.

Henriette, son hiver, elle l’a connu en Février 46. La guerre finie, une vie agréable se dessinait, amoureuse de son Gaston, elle prévoyait des jours heureux avec lui et ses enfants. Ce jour là Gaston était parti dans la forêt avec son cheval et son tombereau. Gaston voulu enlever une pierre sous la roue quand le chien aboya sur un lapin, le cheval prenant peur fit un écart. La roue écrasa la tête de Gaston. C’est Fernand qui trouva Gaston sous la charrette et c’est lui qui vint annoncer le drame à Henriette lui creusant une crevasse à jamais dans le cœur. Henriette vit avec cette plaie depuis. Elle s’habilla de noir, couleur qu’elle ne quittera plus. Les gens étaient attachés, liés à leur amour à l’époque et rien, pas même la mort, ne pouvait rompre ce lien. Elle se consacra à ses enfants qui devaient affronter la vie, ce fut dur mais Henriette est contente du résultat. Ses fils ont su trouver le bonheur.

Alors Henriette guette le chemin par sa fenêtre, ce cadre qui lui sert de vue sur le monde extérieur. Malgré le ciel noir et bas, une lueur brille dans ses yeux. Cette lueur est son Noël, elle est impatiente de voir la voiture pointer son nez au détour du chemin.

Alors le temps sera au beau jusqu'à la fin de la semaine.

mercredi 13 mai 2020

Flânerie

  Ce matin je prends le métro pour aller au travail.

Comme tous les matins d’ailleurs. Je n’ose compter combien de fois je l’ai fait, cela me donne le vertige d’y penser; d’ailleurs combien de fois faudra-t-il le faire pour arriver à la retraite?

Je préfère partir plus tôt pour être tranquille, sinon c’est la cohue on est pressé dans les deux sens du terme ; des odeurs mélangées vous soulèvent  le cœur, l’estomac se rappelle à vous d’avoir avalé trop vite votre déjeuner.

Le métro vous endort, vous y rentrez en pleine forme, vous en sortez comme dans un rêve. Pour cette raison, j’aime sortir deux ou trois stations avant mon terminus  afin de parcourir le restant du voyage à l’air libre, libre de mes mouvements, libre de mes pensées. Je me rappelle d’une époque où j’allais à pied au travail, deux kilomètres à parcourir et l’impression d’être reconnu sur mon parcours par les commerçants et habitués. Là, le métro est la promiscuité avec l’anonymat. Je regarde pourtant les usagers et en reconnait quelques uns, parfois je vole un sourire à quelqu’un qui, surpris, se réfugie dans son journal.

Il m’est arrivé de penser descendre à une station au hasard et passer la journée à flâner et  visiter ce qu’il y a là-haut. Mais le travail m’appelle et il faut bosser, mon éducation, notre éducation, dés l’école, est faite pour cela. On ne peut penser une vie sans travail ; moi, ado, j’y pensais.
A la question :
« Que veux-tu faire comme métier ? »
Poli, je répondais :
« Je ne sais encore ! » Mais pensais :
« Rien ! Pourquoi faudrait-il passer sa vie à travailler? »

Enfin comme dirait ma mère « tu ne connais pas ta chance d’avoir du travail ! ». Le monde à été conçu par des gens hautement placés qui nous utilisent comme puissance et force de rentabilité.  Ma chance à moi est que j’ai réussi à trouver un emploi intéressant. Quand je regarde mes compatriotes de voyage sous-terrain je ne vois pas, chez certains, l’enthousiasme sur leur visage qu’ils devraient avoir pour entamer une journée de leur vie.

Oui, je pense aller flâner de temps en temps comme, en marche vers l’école, traversant la campagne, il me prenait l’idée saugrenue et interdite de prendre un chemin de traverse et glaner des instants bucoliques.  Je me serais allongé dans l'herbe, à regarder le ciel bleu sillonné par le vol saccadé des hirondelles. J'aurais vu cette coccinelle gravir un long brin d'herbe et se noyer dans une goutte de rosée restée là comme par miracle. Sentir l'herbe fraiche en écoutant le ramage amoureux des oiseaux ; jusqu'à ce qu'une vache, plus curieuse que les autres, vienne me sentir de son museau mouillé et m'oblige à me lever. A l’époque, je ne l’ai jamais fait, l’éducation encore, l’école buissonnière c’est pour les cancres !

Maintenant mon errance se passe dans ma tète,  il m’est arrivé de laisser passer ma station d’arrivée. Ici dans la ville il n’aurait pas été question de champ et d’herbe. Tant de chose, pourtant à faire, visiter musées et rues, s’asseoir à une terrasse de café et pour le coup rire des gens pressés. Se reposer dans un square où les enfants s’ébattent dans un bac à sable ; un de ces enfants vous invitant à participer en vous tendant sa petite pelle. Il y aurait aussi les oiseaux dans les arbres qui discutent et me rappellent ma campagne, mais là, aucune vache ne viendrait me sortir de mes pensées.

Le son strident du métro me sort de mes rêveries , je sors de la rame pour suivre le flot des moutons.

Ce n’est pas encore aujourd’hui que je transgresserai l’ordre établi des choses. 

mardi 11 février 2020

Pour quelques quintaux de plus

  Un soir m'en revenant de l'étang, je regarde les rayons du soleil jouer avec les feuilles des arbres. Je m’assieds dans l'herbe et écoute les oiseaux raconter leur folle journée faite de virevoltes et de piqués. Ces oiseaux rentrent dans leurs nids sur la haie. Les fleurs ondulent au rythme de la brise légère.
Je me dis que c'est peut-être cela le bonheur.

Pour quelques quintaux de plus on coupe les arbres, arrache les haies. Les oiseaux ne reviendront plus ici, ils iront gazouiller ailleurs. Pour quelques quintaux de plus ils peuvent bien aller voir plus loin. L'écureuil ne comprend pas pourquoi on lui a abattu sa maison c'est devenu un expulsé. Hier encore il sautait de branche en branche pour trouver les noix qui le nourriraient cet hiver. J’aimais cette lumière du soir avec un soleil rouge sang, embrasant le ciel. Ces ombres qui grandissaient et t’enveloppaient dans une pénombre annonçant le noir inquiétant de la nuit. Le soleil ne joue plus avec les arbres, même l'ombre a disparu.
Il n'y a pas si longtemps on disait la nature est plus forte elle reprend ses droits. L'homme peut s'enorgueillir d'avoir dompté cette nature. Il est plus fort qu'elle. Plus fort tant que cette nature est capable de le nourrir. Vision à court terme.Maintenant le vent balaie la plaine, soulevant la poussière, annonçant des tempêtes. Ici c'est la déforestation, Là c'est la débocagénisation.

Ici pour quelques quintaux de plus on surproduit.
Ailleurs au loin dans un autre monde un enfant crie sa faim.

Dans 50 ans  on demandera aux enfants qu'elle est la couleur dominante de la région. Peu répondront le vert. Enfin! Si ce n'est qu'une question de couleur. Cinquante ans à l'échelle de la création de cette terre c'est peu, ce n'est même pas une seconde, je regrette d'avoir vécu cette seconde. Ces quelques quintaux de plus, je les aurais bien achetés pour garder les arbres et les haies. Pour un bonheur de plus ce n'aurait pas été cher payé. Je pensais que c'était le monde paysan qui m'avait donné cet amour de la terre.
Maintenant je sais que non, c'est d'ailleurs pourquoi je suis parti.
J'aimais trop la nature.

J'aimais la nature, mais je m’aperçus bien vite que je ne pourrais pas en vivre. Je ne voulais pas devenir celui qui façonne la nature à ses besoins. Déracinant les arbres, nivelant les haies afin de faciliter le passage des machines. Arrosant de poisons cette terre pour produire plus, gagner plus, araser plus. Je n'aurais pas été en accord avec moi-même. Mettre un masque pour préparer les pesticides, les raticides, les herbicides tous ces mots en «icides» qui veulent dire tuer. On en est arrivé à polluer les rivières à saturer les terres, à imbiber les nappes phréatiques.Tout cela pour produire plus, pour qui? Pas pour le tiers monde qui crève.

Je suis un révolté de cette bêtise humaine qui ne voit pas plus loin que le bout de sa vie. Elle ne voit même pas la vie qu'elle réserve à ses enfants. Je sais que leurs petits enfants pourront aller dans un musée voir ce qu'était une marre à l'ombre de grands chênes avec des grenouilles sur des feuilles de nénuphar. Ce vol d'une libellule se posant sur une grande herbe. Je me souviens encore de ruisseau ou enfant on allait jouer, faisant des barrages, inventant des bateaux avec un seul bout de bois. Déjà à cette époque on ne parlait plus d'écrevisses dans ces ruisseaux, ils avaient disparus. Puis on a remembré, drainé, enfoui ces ruisseaux, enterrant à jamais mes souvenirs, mes jeux. Pourquoi suis-je aussi impliqué par ces ravages. Beaucoup s'en fichent, se justifient. Ils peuvent toujours justifier, je ne les entendrais pas. Je suis fait comme ça.

Déjà à cette époque j'écrivais des choses sur la pollution. Ce n'était alors  juste que quelques accidents. Je savais que les Hommes vivraient un jour avec des masques. Je pensais alors voir le pire pour croire que ça allait changer.
La réalité dépasse toujours la fiction.

jeudi 26 septembre 2019

Le Surgé

  La cloche sonne la fin de la récréation. J’ai encore la bouche pleine de ce réglisse enroulé autour d’un bonbon que l’on vend dans la cour. L’alarme donnée, il faut se mettre en rang devant le grand bâtiment en pierre de cinq étages.

Les rangs sont ventilés par classe, des sixièmes aux terminales. Nous faisons face à un perron où trône le « Surgé » Contraction de surveillant général. Petit homme en tenue de prête. C’est son moment de gloire ; avoir tous ces jeunes devant lui, le grandit, pourrais-je dire.  Personne ne parle malgré un petit bourdonnement.  Même ce type de première qui me fascine par son aura, il se détache de tout le monde jusqu’à penser qu’il peut monter sur le perron et bousculer le surveillant. Plus tard je reverrai ce genre de type qui rentre en réunion en suscitant le silence et par de là, le respect.

Le moment de gloire du pion continue car chaque rang monte le perron et passe devant lui, tête baissée, pour aller se dispatcher dans les différentes classes. On l’appelle Surgé, quoique je lui aie attribué le sobriquet de « corbeau », l’ayant vu un soir avec sa cape noire volant au vent. Pendant un cours j’ai d’ailleurs adapté la fable de La Fontaine «  le corbeau et le renard »  parlant de ce type et son rapport aux élèves.

Pendant les cours il erre dans le hall, regardant à travers les vitres des fenêtres; si quelqu’un est dissipé au moment de sa ronde, le petit homme surgit dans la classe et attrape le fautif par l’oreille le trainant au dehors, devant le regard ahuri du professeur. Pas  besoin de préciser que l’indiscipliné va passer un mauvais quart d’heure. Cela peut aller de rester à genou sur une règle carrée une demie heure, se faire trainer par les cheveux ou ramasser des coups  de cette même règle en fer sur les doigts.
Le catalogue des sévices grandit au fil des saisons mais vous n'avez pas le droit de choisir dans la liste. Il a pour lui une force extraordinaire. C’est un tortionnaire, assouvissant une soif de violence et certains d’entre nous sont tétanisés devant cette brutalité. Il a du faire ses classes pendant la guerre d’Algérie (suspicion qui n’engage que moi et m'éloigne du propos!).

Il a ses têtes, têtes de turcs, ce sont souvent les mêmes qui y passent. Inutile de préciser qu’au delà d’une certaine classe, les élèves sont tranquilles, seuls les sixièmes et cinquièmes l’intéressent;  quelque fois un quatrième y passe mais encore faut-il qu’il soit en retard de croissance.
Il peut sévir pendant les pauses en « condamnant » les gens à une demi-heure de "mur", punition qui consiste à longer un mur aller retour pendant un temps donné, le temps dépend de la gravité de la faute et surtout de l’humeur de ce monsieur.

Le Surgé aurait été capable de nous mettre une pancarte autour du coup comme on le faisait pendant la révolution culturelle de Mao pour bannir (encore une référence tendancieuse!).

Je m’étonne toujours de certains garçons qui, malgré le danger, continuent d’oser se dissiper.

Comme ce type qui, le professeur lui disant de prendre la porte, dépend cette dernière et demande « je la mets où ? » Cette blague a son effet mais le prix a payé est très fort.

Une autre fois à l’étude entre 17h et 19h (alors que le lycée public d’en face est vide depuis longtemps) nous sommes surveillés par un prêtre âgé. Assis à son bureau sur l’estrade, il lit, mais bien vite pique du nez. Le jeu est d’aller tourner quelques pages de son livre avant qu’il ne se réveille. D’un claquement de main nous réveillons le surveillant qui, scrutant la salle se demande s’il a rêvé puis reprend sa lecture un  peu interloqué. Cette fois le renard est tapi derrière la vitre. Avant que l’élève ne reprenne sa place il est happé par les tentacules du « monstre » et trainé vers la sortie; le surveillant se réveille et, découvrant ce chambard, veut se lever et tombe de sa chaise sous les hourras des spectateurs. Le lendemain nous tous faisons le mur, pas la belle mais ce que j’explique plus haut.

Je suis toujours subjugué par cette forme de violence  qui, pour moi dénote d'un refoulement de quelques accidents de la vie (psychologue s'abstenir!). D'autres camarades n'essaient pas de lui trouver quelqu’excuses, pour eux c'est un combat de tous les jours.

Mon père voulait un collège privé pour la discipline, il avait frappé à la bonne porte.
Ma chance est que je suis grand pour mon age.

Maitre Surgé sur son perron perché
Tenait en ses mains un otage
Maitre Ecolier en rang installé
Réprimait un tel flicage….

samedi 24 août 2019

Une nuit en l'attendant

  La nuit enveloppe les bâtiments d’un voile soyeux. Elle aplanit les laideurs du jour, pensais-je! La nuit pénètre par ma fenêtre et envahit lentement la chambre ou je suis. Allongé sur un matelas à même le sol je la regarde progresser lentement sur le plafond. Avec elle le silence se fait tout doucement ponctué  seulement de quelques bips qu’égrènent les machines. Les bruits de la journée sont devenus plus rares, plus feutrés. La chambre plonge dans une torpeur. Le  noir est troué de lumières vertes et bleues qui jouent sur les murs des ombres féériques. Je saisi l’instant presque magique mais je ne suis pas seul dans cette chambre.  Sur un lit, un enfant est étendu sur le dos, il ne bouge pas, on n’entend pas son souffle, il est de marbre.

Je suis là, à l’hôpital, car le médecin m’a dit ce soir que mon fils ne passerait peut être pas la nuit, une dose de chimio trop forte et la petite usine chimique de son corps s’est mise à s’emballer; c’est comme une réaction nucléaire en chaine qu’on n’arriverait plus à contrôler. C’est l’image que je m’en fais car le toubib y est allé de ses grands mots savants mais j’aime traduire pour avoir une image contrôlable elle.

Je l’attends ! C’est la nuit qu’elle arrive.

La porte s’entrouvre, je fais semblant de dormir pour ne pas déranger l’infirmière de nuit. Elle s’affaire deux ou trois minutes autour du lit puis ne l’entendant plus je risque un œil, je la vois de dos elle est agenouillée devant mon fils et elle prie. « Quelle force dans sa croyance me dis-je ! » dans ce lieu où des enfants souffrent où quelques-uns meurent aussi, comment peut-on croire encore à une quelconque force supérieure. Cette croyance je la respecte, je connais la personne c’est une seconde mère pour tous ces enfants qui dorment loin de leur foyer; c'est une sainte, j’aimais la voir le soir quand je laissais mon fils seul la nuit; je savais qu’elle s’en occuperait bien. Des larmes me viennent à la voir là. Je l’aurais embrassée pour l’instant d’amour qu’elle donne.
Elle sort. Je reste pétrifié sur mon matelas.

Je l’attends ! Faut pas que je m’endorme

Dans quel monde suis-je en ce moment, un monde qui peut basculer d’un instant à l’autre, je guette le son de la machine qui va déchirer ce calme pour nous dire « c’est fini ! ». Ces robots faits de clignotants, de chiffres et de bruitages paraissent les seuls choses vivantes. Ces machines relient l’enfant à une vie artificielle et guettent elles aussi les réactions du corps pour nous alerter le cas échéant. Cela fait des mois que cette chambre est notre seconde maison. Nous y passons une partie de notre temps, nous y mangeons, parlons, rions, pleurons, jouons… enfin nous y vivons. Des jours d’espoirs, de victoires, d’autres de défaites et de souffrances. Allez dans un hôpital d’enfant! Vous prendrez une leçon d’optimisme. Les enfants y sont souvent plus forts que nous adultes; ce sont eux qui nous soutiennent. J'y ai connu des héros de la vie  même si l’innocence de l’enfance leur manquera toujours quelque part.

Je la guette! Elle et sa faux.

C'est étrange de voir un enfant, si vivant, rester allongé sur le dos sans aucun signe qui peut nous laisser espérer. Un instant j’ai l’impression qu’il en a eu marre, qu’il se laisse partir, abrégeant ses souffrances. J’ai peur aussi qu’il veuille abréger les nôtres. Je voudrais lui dire, avant, combien j’ai aimé notre combat ensemble que, si j’ai désespéré parfois ce n’est pas à cause de lui, c’était une faiblesse de ma part. J’aimerai lui dire et lui dis que j’ai tant de choses à vivre avec lui avant qu’il s’en aille; qu’il ne peut pas partir comme cela, même s’il veut faire un bras d’honneur à la vie qu’on lui inflige. Que peut être le combat en vaut encore la peine. J’essaie de m’en persuader.  

Parfois je crois sentir son souffle mais ce n’est que l'air du climatiseur. Mes paupières s’alourdissent, les minutes, les heures défilent à un rythme défiant la tortue de la fable. Une lueur me semble-t-il dans le ciel; La clarté chasse la nuit et ses ombres; enfin le matin va apparaitre, je me lève et m’approche de mon enfant il est toujours là avec nous.

Elle n’est pas venue !

Cette nuit nous aurons gagné, mais combien de nuit tiendrons-nous ?

Deux jours plus tard  alors que je veillais mon fils, j’ai repéré un petit battement de cil. Je lui ai parlé, j’ai décidé de mettre le CD de Balavoine qu'il adorait, j'ai fredonné comme on  faisait ensemble et il a émis quelques sons, c'est ainsi qu'il s'est réveillé.

La vie, en suspend jusque là, recommençait.

lundi 12 août 2019

Drone

  Le soleil tape sur le désert de cailloux.
L’ombre est rare, il faudrait se glisser derrière un rocher pour la trouver.
La petite fille habituée, joue avec une poupée,
la faisant danser pour soulever ses habits au vent.

La climatisation ronronne  gentiment dans le bureau, il fait bon derrière l’écran.
Le ventilateur fait danser les bouts de tissu accrochés.
L’homme se prélasse en jouant à un jeu de carte tout en jetant un œil à l’autre console.

La petite fille voit le berger sortir ses moutons,
il porte un fusil en bandoulière au cas où quelques perdrix passeraient par là.
Elle le regarde se préparer aller quérir quelques herbes pour ses bêtes.

L’homme se concentre sur son jeu.
Une ombre semble apparaître sur l'autre écran vert;
dans le flou de la vidéo il croit distinguer un homme armé.
Il essaie de bien comprendre ce qu’il voit car les ordres sont stricts
si une activité semble suspecte il faut intervenir.

La petite fille met sa main en pare soleil de façon à bien scruter le ciel.
Un vrombissement ne cesse d’emplir la vallée depuis ce matin.

L’homme a contacté le commandement : « En cas de doute on tire! ».
Abandonnant sa partie de carte il prend la souris et clique sur l'icône « Fire ».

La petite fille court vers son père, elle a vu quelque chose dans le ciel et veut l’avertir.
Encore dix mètres mais une boule de feu embrase le berger et son troupeau.
Elle s’arrête.
Deux secondes plus tard, la boule la prend et la couche au sol, la poupée s’enflamme.

L’homme se lève et s’étire. Il a faim.
Sa journée est terminée.

Le nuage de fumée se dissipe lentement dans la vallée.
Le grondement de la mort s’enfuit se répercutant sur les montagnes.
Tout n’est plus que désolation, seules les pierres ont résisté.

La vie a disparu.

mercredi 1 mai 2019

Le temps... du confinement

  Dans un écrit je parlais du temps. Le temps que l’on ne prenait plus.
http://ecrits.didierdufresne.com/2016/06/le-temps.html

Avec le confinement on va réapprendre ou même apprendre à découvrir le temps.

On va s’ennuyer et l’ennui est indispensable.

Je me souviens, enfant ou ado, il m’arrivait de m’ennuyer, c’était en fait une bonne émotion. D’abord on se posait, on pensait au passé récent, ce qu’on avait accompli puis on se tournait vers l’avenir, à ce qu’on pourrait faire. En général on sortait de ce sentiment assez rapidement surtout pour ceux qui savaient faire fonctionner leur imagination.

Maintenant on n’a plus le temps de s’ennuyer, car la mode est à la course en avant. Surtout ne pas s’arrêter pour ne pas avoir à faire une introspection qui nous ferait découvrir des occupations décevantes.

La technologie d’aujourd’hui nous permet une ouverture sur le monde, profitons du temps que l’on a pour se documenter, se cultiver, s’amuser, rire, tout est possible. On peut voir ou revoir des émissions, voir des documentaires, écouter des gens intéressants qu’on ne voit pas sur les chaines traditionnelles.

En dehors de cet outil, faire un repli sur soi même pour mieux se poser, se connaître et faire une cassure du rythme effréné vers un but pas toujours clair.

La contemplation est utile aussi, il faut méditer sur nos vies, pas seulement les nôtres mais celle du monde. Ce monde de consommation effrénée, ce monde de l’argent, de la globalisation. Penser à son environnement proche, faire vivre les commerces de proximité et de ce fait ne pas être dépendant d’économies de pays lointains.

Enfin! on peut prendre le temps. Le temps est une chose précieuse et chère. Là, nous avons l’occasion de le prendre sans contrainte. Surtout ne pas hésiter à l’utiliser pour se retrouver soi-même.

Le temps est un capital qui nous est donné à la naissance. Fructifions le.

mardi 29 janvier 2019

Le temps

  Contre un mur de la pièce s’érigeait une horloge comtoise. Petit, elle me semblait géante. Fallait-il que le temps, à l’époque, ait de l’importance pour qu’on l’honore du plus beau meuble.

Je perdais mon temps à écouter le tic-tac égrenant les secondes ; laissais mon imagination voguer au rythme du balancier doré.
Je partais dans des songes sans histoires réelles, seulement un voyage dans le temps. Il était bon de se poser en se ressourçant au son de l’écoulement du temps.

Maintenant où on n’a plus le temps, d’ailleurs plus d’horloge comtoise. On court après des minutes à jamais perdues. Le temps n’a jamais eu autant d’importance et on ne le prend pas. Peut-être faudrait-il retourner le sablier de notre vie pour retrouver le bon rythme.

Que de temps perdu à essayer d’en gagner!

La réalité revenait vite quand le carillon sonnait. Nous n’étions pas surpris, juste avant, le ressort nous indiquait que le son cristallin allait emplir la pièce, scandant les heures passées.
Les gens installés venaient de vivre, à leur insu, un moment. En communion ils prenaient conscience qu’un peu de leur vie s’était dissipé.
La nostalgie du temps perdu n’avait pas le temps de s’installer car le son, après avoir percuté les murs en écho, s’évaporait laissant le tic-tac reprendre son lent écoulement inexorable.

Plus le temps a de l’importance plus les horloges se réduisent, comme si l’on ne voulait pas entendre le temps s’en aller. La musique des secondes s’envolant nous manque pour prendre conscience de la fréquence à laquelle bat notre vie.

Dans le temps on avait le temps !

Si vous avez pris le temps de me lire, merci ! J’espère seulement que vous n’aurez pas perdu votre temps.

Une des plus grandes libertés, c’est d’avoir le temps de faire les choses.

mardi 15 janvier 2019

Nostalgie

Il se lève ce matin, la tête bourdonnant des climatiseurs et épurateurs d'air qui ronronnent sans arrêt, le retenant à cette vie précaire. Par la vitre sale, il voit la boule de feu déjà en action asséchant encore le peu qui puisse rester de viable. Son souvenir des nuages se dissipe de jour en jour. Il sait que bientôt il ne pourra plus se rappeler ne serait-ce leur forme dans le ciel. Ni la goutte d'eau qui vient s'écraser sur votre front donnant une impression de fraîcheur. Les dernières pluies ici étaient acides, il fallait justement éviter de les recevoir. Comment en est-on arrivé là ? Cette question lancinante lui trotte dans la tête. Question sans aucune importance maintenant.
 La couleur verte a disparu du paysage laissant le brun et le noir s'installer; est-ce une simple question de couleur? Forcément non mais peut-on lui enlever jusqu'à cette notion?

 L’Homme cela lui a pris comme ça, comme dans un rêve démentiel. Un cauchemar.
D'abord il a voulu mettre son image partout, se mettre en publicité, en actualité. Il abat les arbres, déforeste, pour en faire du papier, des affiches. Il a commencé à cacher le paysage, comme s'il voulait ne pas voir ce qu'il détruisait.
Puis il a construit des maisons de plus en plus grandes. Bien sûr il plantait un arbre de temps en temps pour en garder le souvenir. Les Immeubles grandissant ont commencé à couvrir les arbres de leur ombre, ces derniers sont morts desséchés. Le béton a remplacé le parc naturel couvert d’herbes folles et de fleurs printanières.

Il a voulu se déplacer, il invente donc des machines, il faut les nourrir ces machines. Heureusement la terre nourricière est là avec ses réserves de pétrole. On pille et même si quelques cargos chavirent, laissant de larges larmes noires sur la face de la mer, on se dit que le jeu en vaut la chandelle. La flamme il faut pouvoir la laisser allumée, comme l'homme de Cro-Magnon voulait la préserver. Les usines et les véhicules crachent leur venin invisible trouant notre toit protecteur. Empoisonnant notre air.

L'Homme est pris d'une frénésie, non seulement il ne veut pas s'arrêter mais il court, il casse, il tue. Bientôt les forêts disparaissent laissant place à des langues de terre desséchées que même les fleuves ne peuvent abreuver. Des mers s'évanouissent découvrant des carcasses de cargos, des neiges d'antan s'évaporent vieilles de milliers d'années.
 L'Homme il lui a fallu 50 ans pour assécher sa terre nourricière. On respirait encore à l'époque mais la dioxine et les gaz que génèrent les déchets remplacent notre gaz vital. L'Homme n'est pas à cours d'idée il crée des masques pour pouvoir continuer sa destruction, Le masque lui permet aussi de se cacher. Au début on s'interroge on voit des cyclistes masqués puis on s'habitue. On entend parler de pluies acides, mais pour l'instant ce n'est pas très inquiétant ce ne sont que de petites pluies.
Il ne fallait pas accepter dès le début car il suffit aux pollueurs de gravir les paliers plus ou moins sensibles de la résignation.
L'eau est devenue rare, ce sont les pays pauvres qui ont commencé à mourir. Dans les pays riches on a pompé tout ce que l'on pouvait pomper. Les mers, les glaciers tout y est passé reculant de quelques années le cauchemar que d'autres vivaient.
Des îlots, des oasis se sont créées entourées de murs et barbelés gardés par des armées. Des millions de gens y ont péris autour faute d'eau ils y ont versé leur sang. Maintenant ce sont les dirigeants, les vrais pollueurs qui y vivent, pour combien de temps encore.

Où est passé cette cascade sur la rivière. Elle déployait son rideau de brume aqueuse que venait illuminer le spectre coloré du soleil. Le promeneur armé de patience aurait pu y voir un écureuil s'y rafraîchir ou ce raton laveur sécher ses poils brillants à la chaleur des rayons. Tous les sens y étaient mis en éveil.
L'ouïe d'abord avec cette mélodie de l'eau sur les rochers, rehaussée de chants d'oiseaux et ponctuée de bourdonnements d'abeille.
L'odorat ensuite par le bouquet de l'herbe humide agrémenté des parfums de fleurs des prés.
Le goût après en se rafraîchissant de cette onde; croquant une fraise sauvage.
Le toucher en laissant filer entre ses doigts cette force insaisissable.
La vue bien évidemment, imaginant qu’il y a plusieurs milliers d'années de cela quelqu'un assistait au même spectacle.
Où sont tous ces plaisirs disparus à jamais ? Pendant plusieurs millénaires des hommes ont pu y goûter. En quelques décennies tout a disparu, l’eau, l’herbe, les fleurs, la musique plus rien de tout cela. Tout n'est plus que sable, poussière (tu retourneras poussière).

Pourquoi se ressasser cela sans arrêt? Cela ne sert à rien, si c'était à refaire, l'Homme recommencerait. Ce serait le jet d'un sac de plastique qui naviguerait jusqu'à la mer. Car tout a commencé comme ça un geste simple sans conséquence qui se multiplie à l'infini, l'égoïsme nous permettant de croire que l'on a le droit d'agir ainsi. Ce sont ces politiques soutenant les compagnies pétrolières qui en sont responsables. Ce sont eux qui rendront des comptes au banc de la société, au grand tribunal des amoureux de la terre, ils seront condamnés pour crime contre la nature; crime contre nature pourra-t-on vraiment dire.

L'homme se ressasse tout cela en songeant qu'il n'a rien
pu faire. Va falloir qu'il mette sa combinaison, son masque, ses bottes pour aller chercher de quoi se sustenter. Il va partir pour sa quête finale. Arpenter ces rues balayées par un vent de sable. Il se couvre entièrement, la moindre surface de peau offerte au soleil brûlerait instantanément. Il doit chercher quelques trous ou récipients dans cette ville contenant un liquide poisseux lui permettant de s'abreuver. Il est conscient que si ce n'est aujourd'hui qu'il périra, ce sera certainement demain.
Demain il y a longtemps voulait dire espoir, depuis peu ce mot, Demain, pour lui veut dire mort.
Dans une année lumière de là, une vie apparaîtra sur une autre planète. Les nouveaux êtres verront la terre comme une planète inhospitalière ne pouvant accueillir la vie.

L'histoire se serait-elle déjà répétée ?

jeudi 27 décembre 2018

Voyage

  Ce matin je prends le train pour la capitale.

J’arrive à la gare, pensant être juste à l’heure, j’apprends que le train a vingt minutes de retard. Sur cette ligne l’info, le scoop c’est quand le train arrive à l’heure. Il m’est déjà arrivé d’avoir une heure de retard, de finir le voyage en car et le nec plus ultra, c’est, lorsque vous arrivez à la gare, que le train est annulé. Il fût un temps ou la conscience du service public faisait en sorte que tout marchait bien, là on nous annonce que le train aura du retard et c’est plié « bon voyage !», si on veut se plaindre on peut toujours parler au haut-parleur faute d’avoir un interlocuteur.

Quoiqu’il en soit le train arrive et les usagers sont contents qu’il soit là.

Le voyage en train est une parenthèse, déjà parti et pas encore arrivé, nous sommes cloisonnés dans un wagon, comme dans une grande pièce et allons, sans nous connaître, passer un moment ensemble. Un peu de notre vie est dévoilée surtout si c’est une famille avec des enfants, ces derniers sans préjugé, vivent l’instant, ils s’adaptent au contexte. Il m’est arrivé, voyageant avec ma femme et mes deux fils, que l’ainé, âgé de cinq ans, raconte à la personne, devant, toute notre vie. Certains n’aiment pas les enfants, enfin surtout ceux des autres, ils les dérangent, ils sont regardés d’un œil mauvais et si l’enfant en question est attentif il n’ira pas se frotter à ses réfractaires.
Là je suis en première, début d’après-midi, peu de monde, l’endroit est calme. Chacun vaque à ses occupations, essayant de rendre le moment agréable, elle, faisant des mots croisés, lui, lisant un livre ou jouant sur une console. Le voyage s’écoule à la fréquence des poteaux qui défilent dehors, rythmé par le bruit des roues sur les rails.

Pas besoin de savoir que le voyage se termine, dix minutes avant, les gens commencent à s’agiter, descendent les valises, mettent leur manteau, certains même commencent à remonter le train ce sera ça de gagné à l’arrivée. Si vous restez assis, on vous regarde avec circonspection comme disant : «  il n’a pas compris qu’on arrive ou que c’est le terminus! ». Il faut être dans le mouvement sinon vous passez pour un original. J’attends, ne voulant pas suivre la foule, que le train s’arrête pour me préparer; mais déjà la frénésie de Paris se fait sentir, une équipe de nettoyeur arrive avec des seaux et des serpillières vous faisant comprendre que vous dérangez.

Ce n’est pourtant qu’en passant les portes des stations de métro qu’on se sent arrivé à Paris. C’est la publicité que je remarque en premier, en province nous ne sommes pas assailli par ces panneaux; là il y en a partout, nous ventant leurs marchandises.
Dans les couloirs il faut suivre le flux sinon vous vous faites harangué et bousculé par le monde pressé qui cherche désespérément à récupérer un temps perdu. En fait je comprends pourquoi les gens s’agitent à l’arrivée dans le train, c’est pour être dans le rythme plus tard. Pas question de s’arrêter pour chercher son chemin, la foule vous emmène.

Dans le métro, une autre vie commence. L’intimité n’est plus de mise, vous vous collez à des gens que vous ne connaissez pas. Le flux aux stations régénère la population mais quand vous sortirez vous aurez l’impression que tout le monde se ressemble. L’indifférence est de rigueur, la plus part ne se regarde pas ils sont dans leur bulle, bulle accentuée par ce petit écran lumineux qui captive la majorité. J’ai toujours passé mon temps à observer les gens à essayer de les deviner dans leur vie ; parfois je soutire un éclair, un sourire et c’est rassurant de savoir qu’il y a encore des gens ouverts aux autres.
Quand le wagon s’éclaircit, arrive le mendiant avec sa gamelle. Avant, ils racontaient tout une vie de misère, celui-là ne dit plus rien, il s’arrête devant vous, tend un verre en plastique et vous fixe de ses yeux vides. Il nous fait comprendre qu’on ne peut pas le laisser dans le besoin. Je le regarde ça fonctionne, il récolte quelques pièces , mais ce sont encore les écrans qui servent de rempart pour certains; ne levant pas la tête malgré l’insistance du demandeur.
Bientôt tout le monde aura sa carapace, son armure, ce sera la fin des sourires et de la manche dans le métro.

Je sors enfin à l’air libre après un long voyage. Je reprends facilement mes marques et tombe encore devant un mendiant, mon mendiant devant Monoprix, il me reconnait, me sourit, il vend des journaux locaux et j’ai l’habitude de lui donner la pièce et de lui parler. Je vois la marchande de quatre saisons qui me dit bonjour ; j’ai une vague impression que leur monde s’est arrêté pendant que j’étais parti.

Une impression qu’ils m’attendaient pour reprendre vie.

mercredi 19 décembre 2018

Ultime voyage

  Je roulais doucement, dans un silence pesant. Mes passagers ne disaient rien, je faisais attention à eux, évitant les trous, prenant les virages lentement afin de ne pas trop les secouer. Je voyais le soleil poindre en haut de la colline et ça m'inquiétait.

Tout a commencé ce matin.

Je revenais des vaches comme on dit avec ma femme et le commis. Elle était là assise sur la margelle du puits devant la maison. Tout de noir vêtue comme sont les vieilles en général mais là son habit signifiait autre chose.
- Bonjour Henri déclara t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour Germaine répondis-je, entrez prendre un café!
La faim commençait à me tirailler, levé depuis 3 heures avec un seul café dans l'estomac. Une fois installés à la grande table en chêne de la cuisine, après les conversations d'usage sur le temps et les récoltes, germaine enchaine:
- Henry tu sais le malheur qui m'arrive!
Ce n'était pas une question car tout le bourg avait appris la nouvelle la veille au soir à savoir que la fille de Germaine et son gendre avaient eu un accident de voiture. Ils étaient tombés dans l'orne, le fleuve qui se jette dans la Manche.
- Oui Germaine mes condoléances dis-je.
- Ma fille et mon gendre sont restés au village à une trentaine de kilomètres d'ici tu es un des seuls à avoir une voiture, j'aimerais que tu viennes les chercher avec moi et les ramener dans ma demeure avant l'enterrement.
- C'est pas rien ce que vous me demandez là Germaine, je n'ai jamais transporté de corps! ça se prépare!
- Je le sais bien mais là nous sommes pris par le temps et ça presse; je veux les veiller ce soir avant la cérémonie de demain.
- Laissez-moi manger un morceau et on se met en route.

Après m'être restauré et avoir mis le nécessaire dans la voiture nous sommes partis. Nous avons pris la route de la suisse normande, ainsi appelée par le paysage vallonné et vert ressemblant à la Suisse. Germaine restait muette; je me demandais comment entamer la conversation. Rien ne me venait à l'esprit que des choses banales et futiles vu le contexte. Elle était digne comme la plupart des gens de la campagne. On ne laisse pas apparaitre les émotions; ce n'est que lorsqu'on a rejoint le fleuve qu'une larme a coulé sur son visage suivant les rides de sa vie de labeur.
- A fallu que ce fleuve me prenne les deux vies les plus chères déclama t-elle
- Je sais Germaine je ne peux que vous aider dans votre malheur, je ne pourrais pas vous soulager.
- Merci c'est déjà bien de m'aider

La route sinueuse défile devant nous,le printemps a repeint le paysage et l'air sent le renouveau. Une heure après notre départ nous arrivons à destination.
- Ils sont à la mairie m'indique Germaine.
Une fois sur les lieux il nous fallut aller chercher le maire qui travaillait dans son champ, s'en revenant à pied il nous raconta comment se sont passés les événements. Vers l'angélus un pécheur au bord de l'orne entend un coup de frein et voit une voiture plonger à une centaine de mètre de lui. Il court sur les lieux tout en disant à un passant d'alerter les pompiers. Quand il arrive, la voiture n'est presque plus visible, il se dévêt et plonge, mais ce n'est pas un bon nageur. A plusieurs reprises il essaie d'atteindre la voiture et au bout d'énormes efforts il y parvient, malheureusement il n'arrive pas à ouvrir les portes ; les personnes à l'intérieur sont inconscientes. Après dix minutes le pécheur renonce, les pompiers arrivent 30 minutes plus tard et ne peuvent que remorquer la voiture sur la berge. Les gendarmes constatent le décès des deux passagers et ayant trouvé les papiers avertissent le maire du village de Germaine. En attendant les corps ont été entreposés dans la salle de mariage de la mairie. Arrivant dans la pièce nous voyons les deux corps allongés sur des tables. Les corps enveloppés dans des draps blancs furent installés sur les sièges arrière de ma voiture.
Et nous voilà reparti avec la macabre compagnie!

Je jette de temps en temps un coup d'œil dans le rétro à un moment je vois les corps qui se sont rapprochés comme pour ne plus se quitter dans leur nouveau monde. J'aperçois donc le soleil poindre à l'horizon et me dit que s'il fait trop chaud la ventilation ne suffira pas et se sera une catastrophe en arrivant. Germaine elle, parait soulagée d'avoir retrouvé ses enfants, ses traits se détendent et le sentiment du devoir accompli lui épanouit le visage. Devoir accompli pensais je! Pas encore, l'expédition commence. Ma vitesse réduite me fait l'honneur des avertisseurs, et une file de cinq ou six voitures se forme derrière moi à cause de la sinuosité de la route. Avec les klaxons on pourrait croire à une procession de mariage pensé-je en souriant malgré moi. N'en pouvant plus je me mets sur le bas-côté pour laisser passer les voitures. Je décide d'accélérer un peu, je ne peux avoir un cortège derrière moi.
- On pourrait peut-être dire une prière réclame Germaine rompant le silence.
- Dites ce que vous voulez mais moi je conduis je ne connais pas de psaume. Je préfère que vous le fassiez tout bas afin que je reste concentré.
Malgré mes recommandations j'entends ma passagère psalmodier des invectives moitié latin moitié patois tout cela accompagné de signes de croix. J'ai toujours eu du mal avec les bondieuseries, j'ai tellement vu de choses, je me dis que le destin de l'homme lui appartient et qu'une fois mort on est mort un point c'est tout. Mais je laisse la femme se réconforter avec tout ce qu'on lui a appris.

Au loin j'aperçois des motards de la police et pense que les ennuis ne sont pas finis.

Un gendarme me fait signe de me ranger sur le côté de la route. "Contrôle des papiers ordonne-t-il!"
- Vous transportez quoi sous ses draps derrière ?
- Deux cadavres que je remmène à la maison.
- Deux cadavres? Mais vous n'avez pas le droit, vous avez des papiers en règle pour cela?
- Ben non on ne nous a pas dit et de plus le temps presse.
- Le temps presse plus pour ceux-là en tout cas répond-il! avec sa logique administrative.
A ce moment la radio sur la moto se met à crépiter il court et prend le micro. Un instant après il revient vers nous.
- vous avez de la chance une urgence je dois partir; allez-y!

De la chance pensais-je il se moque de moi.
- Ces poulets ils sont toujours là pour embêter les braves gens déclame Germaine.
- Bon! Ils sont là pour faire leur boulot.
On arrive à la grande ville.
- On pourrait s'arrêter boire un verre Henri il fait soif!
- ça va pas Germaine on ne va pas laisser les corps seuls dans la voiture vous perdez la tête!
- Je disais ça moi, c'est pour vous; pour vous remercier.
- Comprenez que la chaleur arrive et qu'il faut déposer les corps le plus rapidement possible.

Je continue la route dans un silence. Germaine semble vexée. En fait ce voyage semble lui plaire, elle n'est plus seule et cela rompt la monotonie de la vie qu'elle mène.

Arrivé à destination je me coltine les deux corps et les étend sur leur lit. On les dirait endormi. C'est ce qu'ils sont, endormis à jamais côte à côte. Germaine pleure dans sa cuisine en préparant le café.
"Je n'ai même pas quelque chose à vous donner à manger"
- Vous inquiétez pas va! Je ne suis pas loin de la maison.
- Vous allez pas me laisser seule avec ces deux-là!
- En passant je vais voir Gustave il va venir avec sa femme.
- Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin avec moi je n'aurais pas pu le faire et je vous en suis redevable.
- Redevable de rien si on ne se sert pas les coudes quand il y a un malheur où va le monde? Pleurez vos enfants et laissez les autres faire le reste.

Je sors. Le soleil est à son zénith me redonnant le courage pour partir finir ma journée.

Le soleil est la vie derrière moi est la mort.

jeudi 18 octobre 2018

L’automne à la campagne

  De toutes les saisons c’est l’automne que je préfère; bien que ce soit l’annonce de jours plus froids..

D’abord l’automne c’est une ambiance. En marchant le matin dans un chemin, un silence vous envahit comme si l’été avait été un bavardage incessant. Ce silence est ponctué d’un frémissement de feuille que vient troubler une brise, perturbé par le meuglement d’une vache au loin ou par les coqs matinaux qui se répondent. Un sentiment d’air ouaté vous envoute.

Après l’ambiance c’est la lumière qui, surtout pour moi qui aime la photo, fait la magie de cette période. Les matins et soirs sont enflammés par un soleil rougeoyant; la nature est repeinte comme regardée à travers un filtre orangé. Le matin le soleil joue avec des nappes de brouillards rasantes posées sur un champ de blés coupés; ces nappes sont insaisissables, plus on s’en approche et plus elles s’éloignent. Si le promeneur est patient peut être y verra-t-il une biche s’évaporer dans ce mur aqueux. Sur les haies de grandes toiles d’araignée parsemées de gouttes de rosée reflètent des arcs en ciel éphémères. La nature réinvente toutes les couleurs du jaune clair aux ocres les plus foncés, comme pour rendre au soleil ses nuances spectrales emmagasinées.
L’odeur aussi est spécifique, la terre surchauffée laisse échapper des parfums de décomposition et les labours délivrent des relents enfouis d’une année passée. S’il vient à pleuvoir alors c’est un festival de senteurs toute plus fortes les une que les autres; on peut percevoir des parfums de noisettes, de glands ou de châtaignes. 

L’automne était dans ma jeunesse tout une panoplie de rituels.

D’abord c’étaient les foires ; nous nous levions tôt car comme disait mon père « c’est le matin de bonne heure que tout se passe ! » nous partions donc au lever du soleil, souvent nous enfonçant dans un brouillard annonciateur d’une belle journée. Après avoir garé la voiture dans un champ, nous descendions là où le monde des éleveurs s’était donné rendez-vous. Avant d’arriver, une odeur animale, faite de musc, de sueur, de bouses et crottins, vous prenait les narines. Attachés à une grande corde qui courait tout le long du champ de foire, des centaines de vaches ici, de chevaux ailleurs se demandaient qui pouvait bien troubler leur tranquillité habituelle. Des personnes tâtaient le cul ou le pis des vaches, ouvraient la gueule des chevaux ou soupesaient  les moutons. Les maquignons, reconnaissables à leur blouse noire, sortaient leur portefeuille d’où de grosses liasses pendaient; les transactions, après discutions animées, étaient soldées rubis sur l’ongle. Les éleveurs attendaient accotés à une grosse canne de coudrier la cigarette maïs éteinte à la bouche et une casquette sur la tête. De tous temps ce sont les chevaux qui me fascinent, je pensais que si toutes ces masses de muscles se mettaient à tirer sur la corde rien ne pourrait les arrêter. Ces animaux piaffaient, renâclaient et secouaient la tête dans un bruit métallique produit par leur licol. Un nuage de vapeur se dégageait de leur dos dans ce froid matinal. L’instant le meilleur  pour nous, enfants, était la partie de manège que l’on effectuait. Je préférais toutefois le déjeuner, vers dix heures nous nous installions sous une tente ou trônaient de grandes tables en bois cernées de bancs du même «métal». Nous prenions place et là, on nous apportait un gigot d’agneau cuit devant nous à la broche. Le goût était magique et la viande fondait dans la bouche. Mon père et ses trois copains qui dépassaient tous le quintal n’étaient pas rassasiés avec un seul gigot. La foire se terminait dans cette ambiance festive où la chair et le vin venaient rougir les visages, mon père résumait souvent ces moments par un «on a bien vit ! »  Patois local qui voulait dire « on a bien vécu! » ou mieux « nous avons passé un bon moment!".

Ensuite c’était la chasse. L’ouverture était une fête. Les chasseurs étaient vêtus de leurs plus beaux atours ; des bottes de caoutchouc, enfermant un pantalon de toile verte lui-même ceinturé d’une cartouchière remplie que cachait en partie une grande veste de treillis; cette dernière était pourvue d’une grande poche dans le dos ouverte de chaque côté pour accueillir un gibier hypothétique. Un fusil rutilant, astiqué pour l’occasion, venait terminer la panoplie. Il ne fallait pas oublier le coéquipier indispensable qu’était le chien. Je me rappelle la chienne de mon père, elle s’appelait Rita. Elle n’avait plus que trois pattes; un accident de faucheuse. Lorsqu’elle voyait son maitre sortir son fusil, elle était folle, courait partout, sautait sur les jambes de son patron, partait déjà et revenait ne comprenant pas pourquoi on n’y allait pas maintenant. Le soir elle revenait fourbue, les oreilles et son moignon en sang d’avoir traversé des buissons d’épines pour déloger un lapin apeuré. Évidemment, comme toutes choses ici, cette ouverture de chasse entrainait des petits déjeuners aux tripes arrosés de vin blanc; combien de lapins ont évité  la mort grâce au bon entrain des chasseurs; je n’ai pas entendu parler pour autant d’accident. La journée ponctuée de détonations dans la campagne se terminait à la nuit tombante avec des récits plus extraordinaires les uns que les autres.

Il y avait la récolte des pommes. Pays du cidre, beaucoup de pommiers ornaient les cours et les champs des fermes, à l’automne il fallait donc ramasser ces fruits. C’étaient les jeunes qui étaient à l’ouvrage en premier, nous devions grimper dans l’arbre afin de le secouer avec énergie pour faire tomber les pommes. Un minimum de connaissances sur la fragilité des branches était nécessaire  sinon la chute était inévitable. Ensuite, armé d’une longue perche de bois (appelée gaule) au bout de laquelle était fixé un crochet de fer, nous attrapions les petites branches pour les secouer. La suite était plus longue, il fallait ramasser les pommes, une à une,  à la main dans l’herbe plus ou moins haute et les mettre dans des paniers en fer. Le panier plein nous le vidions dans de grands sacs de toile. Ces fruits ramassés, nous les transportions dans un grenier. Après Plusieurs jours  un spécialiste venait avec sa presse mobile. Nous vidions les fruits dans un broyeur, le résultat était stocké dans de  grosses toiles entassées les unes sur les autres. Une presse écrasait ces toiles et le jus suintait entre leurs maillages.  Le jus était pompé et vidé dans de gros tonneaux en bois; il restait donc un magma sec et tassé qui contenait la chair et la peau on le dénommé  le « marc », ce dernier était particulièrement apprécié des bovins. Rien n’était perdu. Le jus, délicieux nectar, restait dans les tonneaux à macérer pour devenir du cidre. Plus tard nous en mettions une partie en bouteille pour  faire du « cidre bouché », breuvage pétillant recherché l’été, remplaçant la bière dans nos contrées. Plus tard encore un bouilleur de cru venait pour transformer le reste du cidre en calvados.

L’automne s’écoulait au rythme de ces activités et déclinait de frimas en  frimas pour laisser la place à un hiver qui mettrait cette nature au repos.

mardi 13 mars 2018

Les Jeudis

  Les Jeudis nous allons à pied chez mémère Germaine, ma grand-mère paternelle, pour manger des crêpes. Nous avons trois kilomètres à faire. Soit par la route, soit à travers champs. Si en cours de route nous rencontrons des gens nous les saluons car nous sommes bien élevés et très polis. Nous avons intérêt, tout le monde se connaissant, si nous ne disons pas « bonjour » les nouvelles vont vite. Les premières fois que je suis allé en ville je ne savais pas comment me comporter quand je croisais quelqu'un sur le trottoir j'avais envie de lui dire bonjour mais on ne faisait pas cas de moi. Une anecdote : en arrivant au bourg un avion à réaction est passé au-dessus de nos têtes, Jacqueline avait eu peur, elle nous dit qu’elle avait failli faire dans sa culotte et cela avait déclenché un fou rire collectif. A cet instant nous croisons un monsieur qui avait une malformation à la tête, il a cru que l'on se moquait de lui et nous a sermonné; nous étions très embêtés de ce quiproquo car loin de nous de se moquer, j'étais déçu que cet homme puisse penser que nous étions méchants mais c'était peine perdue d'essayer de lui expliquer, les faits étaient contre nous et chacun est parti de son côté.

Ma grand-mère a perdu son mari très tôt mon père n’avait que deux ans. Elle a donc élevé seule ses enfants sur une ferme. Elle habite le rez-de-chaussée d’une petite maison de deux étages. Le premier est occupé par mon oncle Émile, ma tante Marie-Louise et mon cousin Jean-Claude qui résument toute ma famille. Mémère Germaine est un peu plus jeune que mes autres grands-parents, plus jeune de caractère aussi. C’est une personne frêle, ses deux enfants font chacun un peu plus d’un quintal, on peut se poser la question « comment un personne si petite a pu engendrer deux enfants pareils ; faut dire que son mari était un grand et bel homme. A soixante-dix ans elle est encore souple, si vous la cherchez il n’est pas rare qu’elle soit dans le jardin en train d’arracher quelles qu’herbes ; pliée en deux à travers les choux vous ne voyez que son postérieur dépasser. Elle se targue de pouvoir encore passer une jambe par-dessus sa tête. J’aime bien cette personne, elle est attentive aux jeunes et si j’avais été habitué je l’aurais prise dans mes bras. J’ai du mal à imaginer sa vie dans un monde masculin, elle seule. Si mon père et ma tante sont des bosseurs on peut comprendre qu’ils ont été formés jeunes.

Les crêpes sont un régal, elles sont faites de farine de blé ou de sarrasin. Nous les saupoudrons de sucre où étalons de la confiture faite maison. Nous pouvons en manger six ou sept pendant le repas. Les produits sont du terroir, la farine vient du blé du champ voisin, les confitures faites des fruits des arbres du jardin, le cidre des pommes que nous avons ramassé, le lait bien sûr de nos vaches, les œufs de nos poules et je pourrais continuer. Seul le sucre n’est pas de notre production.
Nous passons Noël chez cette grand-mère, ma tante habitant à côté fait la cuisine, elle est cuisinière de métier et c’est avec elle que j’apprends à aimer la bonne chair. Nous sommes tout ce qui compose notre famille donc dix à table. Les repas sont interminables, les menus conséquents. Pour nous, enfants, c’est un peu long surtout que l’on doit bien se tenir à table ; mon père est intraitable sur ce fait. Les cadeaux ne sont offerts que le matin suivant ; des cadeaux simples mais l’émerveillement est compris. Je me rappelle un camion vert, plusieurs années plus tard il me semble me souvenir de l’odeur. Le plaisir d’ouvrir le carton fait partie du cadeau et je suis heureux ces jours-là.

Mon seul et unique oncle Emile, est chef d'entreprise de travaux publics, c'est le grand copain de mon père surtout pour la chasse. C’est un personnage attachant et marrant, il a toujours le sourire et fait souvent des blagues. Avec lui je pense que la vie est facile, qu’il faut s’amuser, ne pas s’encombrer de principes ni de retenues. C'est avec lui que j'ai appris à rire.
Mon oncle a un associé et à eux deux ils ont construit une baraque en bois sur une dune au bord de la plage et mes premières vacances en dehors de chez moi, je les passe là-bas. Nous sommes à 20 mètres de la mer à marée haute et la nuit nous dormons bercé par le lent mouvement des vagues venant s'échouer sur le sable. Maintenant on n'a plus le droit de construire une cabane comme cela C'est magique ces balades le long des flots au soleil couchant, les phares balayant la mer à leur rythme différent comme cherchant quelques pêcheurs égarés. Des images de lieux infinis me viennent. J’ai envie de voyages, de contrées lointaines avec des plages de sable fin, des palmiers. Le monde m’appartient. Rêveur!!! Ces jeux dans le sable, ces soirées à quatre sur des matelas à même le sol formant un grand lit. A côté de nous réside une colonie de vacances entourée de grillage, ou les coups de sifflet rythment la vie des enfants. Nous sommes conscients de notre chance d'être du bon côté de la frontière, nous sommes libres. Seule notre tante nous accompagne elle est cuisinière de métier, un plaisir en plus j’apprends à apprécier la cuisine.

dimanche 25 février 2018

Grands parents

  Quand nous ne sommes pas à la traite, ce sont les grands-parents maternels qui nous gardent, leur maison est à cinquante mètres de la nôtre, c’est pratique. Mon grand-père maternel exerce la profession de maçon, métier que je ne l'ai jamais vu pratiquer, il est à la retraite. Seules ses factures, rédigées d'une écriture élégante au porte-plume, laissent une trace de son métier. Ma grand-mère est toujours restée à la maison. Ce sont des gens d’un autre siècle, ils ont connu la fin du dix-neuvième. Mon grand père a fait la guerre quatorze. Ma mère a été conçue assez tard car, ayant eu une fille décédée à douze ans, ils ont décidé de la remplacer. Je pense que ma mère à compris ce rôle de remplaçante, ça ne l’a pas aidée dans la vie.

Je me rappelle de ma grand-mère comme une personne vieille, habillée d’une robe noire, d’un tablier gris, de gros bas noirs dans des sabots, les personnes âgées dans ce temps portent déjà le deuil de leur vie. Mon grand-père, vêtu d’un pantalon côtelé, d’une veste grise et couvert d’une casquette, parait un homme dur. Il porte une moustache roussie par le tabac gris qu’il achète dans des paquets en forme de cube. Il faut rouler les cigarettes, mon frère et moi lui volons un peu de tabac avec du papier et allons derrière la haie pour tousser comme des malades. Tous les midis ils viennent manger chez nous. Plus tard ma mère me dira que cela l’embêtait de les avoir tous les jours, elle aurait aimé se contenter de sa propre famille à table. On ne parle pas facilement de ces choses-là de peur de se fâcher.

Malgré le manque de gaité, j’aime aller chez eux. Ils habitent une petite maison bordée de champs. Un petit muret ceint la façade de l'habitation, celui-ci est surmonté d'une barre de fer en tube, peinte en vert clair, à hauteur d'un bon mètre du sol ; mon frère et moi sommes souvent sur le mur et nous faisons les funambules sur la barre ronde, il me semble même que mon frère soit tombé de cette barre et qu'il a gardé longtemps une marque à la tête. A l'arrière de la maison un petit réceptacle en ciment, sous la fenêtre de la cuisine récoltant l'eau, donne lieu de résidence à de gros escargots. Ces clapiers où l'on nourrit les lapins avec les choux du jardin des hauts choux avec leurs grandes feuilles que l'on arrache en tirant celles-ci vers le bas. Ces poules noires auxquelles nous lançons des poignées de grains, dormant dans un poulailler adossé à la maison. Un jour mon frère et moi avons pris les poules une à une, nous leur avons mis la tête sous l'aile et les faisons tourner à bout de bras, quand nous les posons elles sont comme endormies. Ma grand-mère les voyant fut affolée. Ces cabinets, eh oui! Le tout à l'égout n'existe pas encore ; c'est une petite cabane en parpaing, avec une porte en bois, où un losange est découpé pour laisser entrer la lumière. A l'intérieur est un grand siège en bois où un trou a été découpé, ce trou donne sur une grande fosse. Le siège, le trône comme on l'appelle, est grand nous pourrions nous y asseoir à trois comme dans une salle d'attente, d'ailleurs il y a de la lecture car le journal de la veille sert de papier hygiénique. Ce noyer accoté aux cages à lapin, je suis toujours déçu par ses fruits ne leur donnant pas le temps de sécher. Une barrière grillagée en armature de bois s'ouvre sur une allée centrale d'un grand jardin. C'est un délice, le matin, d'aller manger des fraises saupoudrées de rosée. J'aime manger des radis, des cives, des pommes en les cueillant.

Dans leur maison mes grands-parents ont une grande horloge comtoise qui, de son balancier doré rythme la journée et égrène les heures d’un son cristallin qui se répercute sur les murs. Une cheminée en pierre de taille dégage une odeur de fumée, sur une crémaillère un chaudron rempli d’eau fume ; le feu, cerné de chenets, crépite dessinant des ombres sur le mur. Je m’amuse avec le tisonnier à créer des petits feux d’artifice cassant les tisons de bois rougis. Un poste radio sur un bahut me fait découvrir mes premières chansons ; Yves Montant, Maurice Chevalier, Charles Trenet. Petit je ne comprenais pas d'où venaient ces voix, je me demandais comment on pouvait mettre tant de personnes dans une si petite boite, ce genre de questions, je les gardais pour moi de peur que l'on me prenne pour un idiot.

On est Dimanche matin, je parcours le chemin de notre maison à celle de mes grands-parents. La porte de la maison de mon grand-père est ouverte. Il est en train de se raser avec son blaireau et son grand rasoir à main. La radio diffuse la chanson "A bicyclette" d'Yves Montand. La nature printanière, le soleil, l’instant de vie et la musique ; un sentiment de joie gonfle en moi. Il me semble toucher un instant de bonheur et aimerait pouvoir le prolonger à l'infini. Mais le bonheur ne peut être que furtif.
Je comprends que la musique véhicule des sentiments ; celle-ci sera toujours présente tout au long de ma vie.