jeudi 27 décembre 2018

Voyage

  Ce matin je prends le train pour la capitale.

J’arrive à la gare, pensant être juste à l’heure, j’apprends que le train a vingt minutes de retard. Sur cette ligne l’info, le scoop c’est quand le train arrive à l’heure. Il m’est déjà arrivé d’avoir une heure de retard, de finir le voyage en car et le nec plus ultra, c’est, lorsque vous arrivez à la gare, que le train est annulé. Il fût un temps ou la conscience du service public faisait en sorte que tout marchait bien, là on nous annonce que le train aura du retard et c’est plié « bon voyage !», si on veut se plaindre on peut toujours parler au haut-parleur faute d’avoir un interlocuteur.

Quoiqu’il en soit le train arrive et les usagers sont contents qu’il soit là.

Le voyage en train est une parenthèse, déjà parti et pas encore arrivé, nous sommes cloisonnés dans un wagon, comme dans une grande pièce et allons, sans nous connaître, passer un moment ensemble. Un peu de notre vie est dévoilée surtout si c’est une famille avec des enfants, ces derniers sans préjugé, vivent l’instant, ils s’adaptent au contexte. Il m’est arrivé, voyageant avec ma femme et mes deux fils, que l’ainé, âgé de cinq ans, raconte à la personne, devant, toute notre vie. Certains n’aiment pas les enfants, enfin surtout ceux des autres, ils les dérangent, ils sont regardés d’un œil mauvais et si l’enfant en question est attentif il n’ira pas se frotter à ses réfractaires.
Là je suis en première, début d’après-midi, peu de monde, l’endroit est calme. Chacun vaque à ses occupations, essayant de rendre le moment agréable, elle, faisant des mots croisés, lui, lisant un livre ou jouant sur une console. Le voyage s’écoule à la fréquence des poteaux qui défilent dehors, rythmé par le bruit des roues sur les rails.

Pas besoin de savoir que le voyage se termine, dix minutes avant, les gens commencent à s’agiter, descendent les valises, mettent leur manteau, certains même commencent à remonter le train ce sera ça de gagné à l’arrivée. Si vous restez assis, on vous regarde avec circonspection comme disant : «  il n’a pas compris qu’on arrive ou que c’est le terminus! ». Il faut être dans le mouvement sinon vous passez pour un original. J’attends, ne voulant pas suivre la foule, que le train s’arrête pour me préparer; mais déjà la frénésie de Paris se fait sentir, une équipe de nettoyeur arrive avec des seaux et des serpillières vous faisant comprendre que vous dérangez.

Ce n’est pourtant qu’en passant les portes des stations de métro qu’on se sent arrivé à Paris. C’est la publicité que je remarque en premier, en province nous ne sommes pas assailli par ces panneaux; là il y en a partout, nous ventant leurs marchandises.
Dans les couloirs il faut suivre le flux sinon vous vous faites harangué et bousculé par le monde pressé qui cherche désespérément à récupérer un temps perdu. En fait je comprends pourquoi les gens s’agitent à l’arrivée dans le train, c’est pour être dans le rythme plus tard. Pas question de s’arrêter pour chercher son chemin, la foule vous emmène.

Dans le métro, une autre vie commence. L’intimité n’est plus de mise, vous vous collez à des gens que vous ne connaissez pas. Le flux aux stations régénère la population mais quand vous sortirez vous aurez l’impression que tout le monde se ressemble. L’indifférence est de rigueur, la plus part ne se regarde pas ils sont dans leur bulle, bulle accentuée par ce petit écran lumineux qui captive la majorité. J’ai toujours passé mon temps à observer les gens à essayer de les deviner dans leur vie ; parfois je soutire un éclair, un sourire et c’est rassurant de savoir qu’il y a encore des gens ouverts aux autres.
Quand le wagon s’éclaircit, arrive le mendiant avec sa gamelle. Avant, ils racontaient tout une vie de misère, celui-là ne dit plus rien, il s’arrête devant vous, tend un verre en plastique et vous fixe de ses yeux vides. Il nous fait comprendre qu’on ne peut pas le laisser dans le besoin. Je le regarde ça fonctionne, il récolte quelques pièces , mais ce sont encore les écrans qui servent de rempart pour certains; ne levant pas la tête malgré l’insistance du demandeur.
Bientôt tout le monde aura sa carapace, son armure, ce sera la fin des sourires et de la manche dans le métro.

Je sors enfin à l’air libre après un long voyage. Je reprends facilement mes marques et tombe encore devant un mendiant, mon mendiant devant Monoprix, il me reconnait, me sourit, il vend des journaux locaux et j’ai l’habitude de lui donner la pièce et de lui parler. Je vois la marchande de quatre saisons qui me dit bonjour ; j’ai une vague impression que leur monde s’est arrêté pendant que j’étais parti.

Une impression qu’ils m’attendaient pour reprendre vie.

mercredi 19 décembre 2018

Ultime voyage

  Je roulais doucement, dans un silence pesant. Mes passagers ne disaient rien, je faisais attention à eux, évitant les trous, prenant les virages lentement afin de ne pas trop les secouer. Je voyais le soleil poindre en haut de la colline et ça m'inquiétait.

Tout a commencé ce matin.

Je revenais des vaches comme on dit avec ma femme et le commis. Elle était là assise sur la margelle du puits devant la maison. Tout de noir vêtue comme sont les vieilles en général mais là son habit signifiait autre chose.
- Bonjour Henri déclara t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour Germaine répondis-je, entrez prendre un café!
La faim commençait à me tirailler, levé depuis 3 heures avec un seul café dans l'estomac. Une fois installés à la grande table en chêne de la cuisine, après les conversations d'usage sur le temps et les récoltes, germaine enchaine:
- Henry tu sais le malheur qui m'arrive!
Ce n'était pas une question car tout le bourg avait appris la nouvelle la veille au soir à savoir que la fille de Germaine et son gendre avaient eu un accident de voiture. Ils étaient tombés dans l'orne, le fleuve qui se jette dans la Manche.
- Oui Germaine mes condoléances dis-je.
- Ma fille et mon gendre sont restés au village à une trentaine de kilomètres d'ici tu es un des seuls à avoir une voiture, j'aimerais que tu viennes les chercher avec moi et les ramener dans ma demeure avant l'enterrement.
- C'est pas rien ce que vous me demandez là Germaine, je n'ai jamais transporté de corps! ça se prépare!
- Je le sais bien mais là nous sommes pris par le temps et ça presse; je veux les veiller ce soir avant la cérémonie de demain.
- Laissez-moi manger un morceau et on se met en route.

Après m'être restauré et avoir mis le nécessaire dans la voiture nous sommes partis. Nous avons pris la route de la suisse normande, ainsi appelée par le paysage vallonné et vert ressemblant à la Suisse. Germaine restait muette; je me demandais comment entamer la conversation. Rien ne me venait à l'esprit que des choses banales et futiles vu le contexte. Elle était digne comme la plupart des gens de la campagne. On ne laisse pas apparaitre les émotions; ce n'est que lorsqu'on a rejoint le fleuve qu'une larme a coulé sur son visage suivant les rides de sa vie de labeur.
- A fallu que ce fleuve me prenne les deux vies les plus chères déclama t-elle
- Je sais Germaine je ne peux que vous aider dans votre malheur, je ne pourrais pas vous soulager.
- Merci c'est déjà bien de m'aider

La route sinueuse défile devant nous,le printemps a repeint le paysage et l'air sent le renouveau. Une heure après notre départ nous arrivons à destination.
- Ils sont à la mairie m'indique Germaine.
Une fois sur les lieux il nous fallut aller chercher le maire qui travaillait dans son champ, s'en revenant à pied il nous raconta comment se sont passés les événements. Vers l'angélus un pécheur au bord de l'orne entend un coup de frein et voit une voiture plonger à une centaine de mètre de lui. Il court sur les lieux tout en disant à un passant d'alerter les pompiers. Quand il arrive, la voiture n'est presque plus visible, il se dévêt et plonge, mais ce n'est pas un bon nageur. A plusieurs reprises il essaie d'atteindre la voiture et au bout d'énormes efforts il y parvient, malheureusement il n'arrive pas à ouvrir les portes ; les personnes à l'intérieur sont inconscientes. Après dix minutes le pécheur renonce, les pompiers arrivent 30 minutes plus tard et ne peuvent que remorquer la voiture sur la berge. Les gendarmes constatent le décès des deux passagers et ayant trouvé les papiers avertissent le maire du village de Germaine. En attendant les corps ont été entreposés dans la salle de mariage de la mairie. Arrivant dans la pièce nous voyons les deux corps allongés sur des tables. Les corps enveloppés dans des draps blancs furent installés sur les sièges arrière de ma voiture.
Et nous voilà reparti avec la macabre compagnie!

Je jette de temps en temps un coup d'œil dans le rétro à un moment je vois les corps qui se sont rapprochés comme pour ne plus se quitter dans leur nouveau monde. J'aperçois donc le soleil poindre à l'horizon et me dit que s'il fait trop chaud la ventilation ne suffira pas et se sera une catastrophe en arrivant. Germaine elle, parait soulagée d'avoir retrouvé ses enfants, ses traits se détendent et le sentiment du devoir accompli lui épanouit le visage. Devoir accompli pensais je! Pas encore, l'expédition commence. Ma vitesse réduite me fait l'honneur des avertisseurs, et une file de cinq ou six voitures se forme derrière moi à cause de la sinuosité de la route. Avec les klaxons on pourrait croire à une procession de mariage pensé-je en souriant malgré moi. N'en pouvant plus je me mets sur le bas-côté pour laisser passer les voitures. Je décide d'accélérer un peu, je ne peux avoir un cortège derrière moi.
- On pourrait peut-être dire une prière réclame Germaine rompant le silence.
- Dites ce que vous voulez mais moi je conduis je ne connais pas de psaume. Je préfère que vous le fassiez tout bas afin que je reste concentré.
Malgré mes recommandations j'entends ma passagère psalmodier des invectives moitié latin moitié patois tout cela accompagné de signes de croix. J'ai toujours eu du mal avec les bondieuseries, j'ai tellement vu de choses, je me dis que le destin de l'homme lui appartient et qu'une fois mort on est mort un point c'est tout. Mais je laisse la femme se réconforter avec tout ce qu'on lui a appris.

Au loin j'aperçois des motards de la police et pense que les ennuis ne sont pas finis.

Un gendarme me fait signe de me ranger sur le côté de la route. "Contrôle des papiers ordonne-t-il!"
- Vous transportez quoi sous ses draps derrière ?
- Deux cadavres que je remmène à la maison.
- Deux cadavres? Mais vous n'avez pas le droit, vous avez des papiers en règle pour cela?
- Ben non on ne nous a pas dit et de plus le temps presse.
- Le temps presse plus pour ceux-là en tout cas répond-il! avec sa logique administrative.
A ce moment la radio sur la moto se met à crépiter il court et prend le micro. Un instant après il revient vers nous.
- vous avez de la chance une urgence je dois partir; allez-y!

De la chance pensais-je il se moque de moi.
- Ces poulets ils sont toujours là pour embêter les braves gens déclame Germaine.
- Bon! Ils sont là pour faire leur boulot.
On arrive à la grande ville.
- On pourrait s'arrêter boire un verre Henri il fait soif!
- ça va pas Germaine on ne va pas laisser les corps seuls dans la voiture vous perdez la tête!
- Je disais ça moi, c'est pour vous; pour vous remercier.
- Comprenez que la chaleur arrive et qu'il faut déposer les corps le plus rapidement possible.

Je continue la route dans un silence. Germaine semble vexée. En fait ce voyage semble lui plaire, elle n'est plus seule et cela rompt la monotonie de la vie qu'elle mène.

Arrivé à destination je me coltine les deux corps et les étend sur leur lit. On les dirait endormi. C'est ce qu'ils sont, endormis à jamais côte à côte. Germaine pleure dans sa cuisine en préparant le café.
"Je n'ai même pas quelque chose à vous donner à manger"
- Vous inquiétez pas va! Je ne suis pas loin de la maison.
- Vous allez pas me laisser seule avec ces deux-là!
- En passant je vais voir Gustave il va venir avec sa femme.
- Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin avec moi je n'aurais pas pu le faire et je vous en suis redevable.
- Redevable de rien si on ne se sert pas les coudes quand il y a un malheur où va le monde? Pleurez vos enfants et laissez les autres faire le reste.

Je sors. Le soleil est à son zénith me redonnant le courage pour partir finir ma journée.

Le soleil est la vie derrière moi est la mort.

jeudi 18 octobre 2018

L’automne à la campagne

  De toutes les saisons c’est l’automne que je préfère; bien que ce soit l’annonce de jours plus froids..

D’abord l’automne c’est une ambiance. En marchant le matin dans un chemin, un silence vous envahit comme si l’été avait été un bavardage incessant. Ce silence est ponctué d’un frémissement de feuille que vient troubler une brise, perturbé par le meuglement d’une vache au loin ou par les coqs matinaux qui se répondent. Un sentiment d’air ouaté vous envoute.

Après l’ambiance c’est la lumière qui, surtout pour moi qui aime la photo, fait la magie de cette période. Les matins et soirs sont enflammés par un soleil rougeoyant; la nature est repeinte comme regardée à travers un filtre orangé. Le matin le soleil joue avec des nappes de brouillards rasantes posées sur un champ de blés coupés; ces nappes sont insaisissables, plus on s’en approche et plus elles s’éloignent. Si le promeneur est patient peut être y verra-t-il une biche s’évaporer dans ce mur aqueux. Sur les haies de grandes toiles d’araignée parsemées de gouttes de rosée reflètent des arcs en ciel éphémères. La nature réinvente toutes les couleurs du jaune clair aux ocres les plus foncés, comme pour rendre au soleil ses nuances spectrales emmagasinées.
L’odeur aussi est spécifique, la terre surchauffée laisse échapper des parfums de décomposition et les labours délivrent des relents enfouis d’une année passée. S’il vient à pleuvoir alors c’est un festival de senteurs toute plus fortes les une que les autres; on peut percevoir des parfums de noisettes, de glands ou de châtaignes. 

L’automne était dans ma jeunesse tout une panoplie de rituels.

D’abord c’étaient les foires ; nous nous levions tôt car comme disait mon père « c’est le matin de bonne heure que tout se passe ! » nous partions donc au lever du soleil, souvent nous enfonçant dans un brouillard annonciateur d’une belle journée. Après avoir garé la voiture dans un champ, nous descendions là où le monde des éleveurs s’était donné rendez-vous. Avant d’arriver, une odeur animale, faite de musc, de sueur, de bouses et crottins, vous prenait les narines. Attachés à une grande corde qui courait tout le long du champ de foire, des centaines de vaches ici, de chevaux ailleurs se demandaient qui pouvait bien troubler leur tranquillité habituelle. Des personnes tâtaient le cul ou le pis des vaches, ouvraient la gueule des chevaux ou soupesaient  les moutons. Les maquignons, reconnaissables à leur blouse noire, sortaient leur portefeuille d’où de grosses liasses pendaient; les transactions, après discutions animées, étaient soldées rubis sur l’ongle. Les éleveurs attendaient accotés à une grosse canne de coudrier la cigarette maïs éteinte à la bouche et une casquette sur la tête. De tous temps ce sont les chevaux qui me fascinent, je pensais que si toutes ces masses de muscles se mettaient à tirer sur la corde rien ne pourrait les arrêter. Ces animaux piaffaient, renâclaient et secouaient la tête dans un bruit métallique produit par leur licol. Un nuage de vapeur se dégageait de leur dos dans ce froid matinal. L’instant le meilleur  pour nous, enfants, était la partie de manège que l’on effectuait. Je préférais toutefois le déjeuner, vers dix heures nous nous installions sous une tente ou trônaient de grandes tables en bois cernées de bancs du même «métal». Nous prenions place et là, on nous apportait un gigot d’agneau cuit devant nous à la broche. Le goût était magique et la viande fondait dans la bouche. Mon père et ses trois copains qui dépassaient tous le quintal n’étaient pas rassasiés avec un seul gigot. La foire se terminait dans cette ambiance festive où la chair et le vin venaient rougir les visages, mon père résumait souvent ces moments par un «on a bien vit ! »  Patois local qui voulait dire « on a bien vécu! » ou mieux « nous avons passé un bon moment!".

Ensuite c’était la chasse. L’ouverture était une fête. Les chasseurs étaient vêtus de leurs plus beaux atours ; des bottes de caoutchouc, enfermant un pantalon de toile verte lui-même ceinturé d’une cartouchière remplie que cachait en partie une grande veste de treillis; cette dernière était pourvue d’une grande poche dans le dos ouverte de chaque côté pour accueillir un gibier hypothétique. Un fusil rutilant, astiqué pour l’occasion, venait terminer la panoplie. Il ne fallait pas oublier le coéquipier indispensable qu’était le chien. Je me rappelle la chienne de mon père, elle s’appelait Rita. Elle n’avait plus que trois pattes; un accident de faucheuse. Lorsqu’elle voyait son maitre sortir son fusil, elle était folle, courait partout, sautait sur les jambes de son patron, partait déjà et revenait ne comprenant pas pourquoi on n’y allait pas maintenant. Le soir elle revenait fourbue, les oreilles et son moignon en sang d’avoir traversé des buissons d’épines pour déloger un lapin apeuré. Évidemment, comme toutes choses ici, cette ouverture de chasse entrainait des petits déjeuners aux tripes arrosés de vin blanc; combien de lapins ont évité  la mort grâce au bon entrain des chasseurs; je n’ai pas entendu parler pour autant d’accident. La journée ponctuée de détonations dans la campagne se terminait à la nuit tombante avec des récits plus extraordinaires les uns que les autres.

Il y avait la récolte des pommes. Pays du cidre, beaucoup de pommiers ornaient les cours et les champs des fermes, à l’automne il fallait donc ramasser ces fruits. C’étaient les jeunes qui étaient à l’ouvrage en premier, nous devions grimper dans l’arbre afin de le secouer avec énergie pour faire tomber les pommes. Un minimum de connaissances sur la fragilité des branches était nécessaire  sinon la chute était inévitable. Ensuite, armé d’une longue perche de bois (appelée gaule) au bout de laquelle était fixé un crochet de fer, nous attrapions les petites branches pour les secouer. La suite était plus longue, il fallait ramasser les pommes, une à une,  à la main dans l’herbe plus ou moins haute et les mettre dans des paniers en fer. Le panier plein nous le vidions dans de grands sacs de toile. Ces fruits ramassés, nous les transportions dans un grenier. Après Plusieurs jours  un spécialiste venait avec sa presse mobile. Nous vidions les fruits dans un broyeur, le résultat était stocké dans de  grosses toiles entassées les unes sur les autres. Une presse écrasait ces toiles et le jus suintait entre leurs maillages.  Le jus était pompé et vidé dans de gros tonneaux en bois; il restait donc un magma sec et tassé qui contenait la chair et la peau on le dénommé  le « marc », ce dernier était particulièrement apprécié des bovins. Rien n’était perdu. Le jus, délicieux nectar, restait dans les tonneaux à macérer pour devenir du cidre. Plus tard nous en mettions une partie en bouteille pour  faire du « cidre bouché », breuvage pétillant recherché l’été, remplaçant la bière dans nos contrées. Plus tard encore un bouilleur de cru venait pour transformer le reste du cidre en calvados.

L’automne s’écoulait au rythme de ces activités et déclinait de frimas en  frimas pour laisser la place à un hiver qui mettrait cette nature au repos.

mardi 13 mars 2018

Les Jeudis

  Les Jeudis nous allons à pied chez mémère Germaine, ma grand-mère paternelle, pour manger des crêpes. Nous avons trois kilomètres à faire. Soit par la route, soit à travers champs. Si en cours de route nous rencontrons des gens nous les saluons car nous sommes bien élevés et très polis. Nous avons intérêt, tout le monde se connaissant, si nous ne disons pas « bonjour » les nouvelles vont vite. Les premières fois que je suis allé en ville je ne savais pas comment me comporter quand je croisais quelqu'un sur le trottoir j'avais envie de lui dire bonjour mais on ne faisait pas cas de moi. Une anecdote : en arrivant au bourg un avion à réaction est passé au-dessus de nos têtes, Jacqueline avait eu peur, elle nous dit qu’elle avait failli faire dans sa culotte et cela avait déclenché un fou rire collectif. A cet instant nous croisons un monsieur qui avait une malformation à la tête, il a cru que l'on se moquait de lui et nous a sermonné; nous étions très embêtés de ce quiproquo car loin de nous de se moquer, j'étais déçu que cet homme puisse penser que nous étions méchants mais c'était peine perdue d'essayer de lui expliquer, les faits étaient contre nous et chacun est parti de son côté.

Ma grand-mère a perdu son mari très tôt mon père n’avait que deux ans. Elle a donc élevé seule ses enfants sur une ferme. Elle habite le rez-de-chaussée d’une petite maison de deux étages. Le premier est occupé par mon oncle Émile, ma tante Marie-Louise et mon cousin Jean-Claude qui résument toute ma famille. Mémère Germaine est un peu plus jeune que mes autres grands-parents, plus jeune de caractère aussi. C’est une personne frêle, ses deux enfants font chacun un peu plus d’un quintal, on peut se poser la question « comment un personne si petite a pu engendrer deux enfants pareils ; faut dire que son mari était un grand et bel homme. A soixante-dix ans elle est encore souple, si vous la cherchez il n’est pas rare qu’elle soit dans le jardin en train d’arracher quelles qu’herbes ; pliée en deux à travers les choux vous ne voyez que son postérieur dépasser. Elle se targue de pouvoir encore passer une jambe par-dessus sa tête. J’aime bien cette personne, elle est attentive aux jeunes et si j’avais été habitué je l’aurais prise dans mes bras. J’ai du mal à imaginer sa vie dans un monde masculin, elle seule. Si mon père et ma tante sont des bosseurs on peut comprendre qu’ils ont été formés jeunes.

Les crêpes sont un régal, elles sont faites de farine de blé ou de sarrasin. Nous les saupoudrons de sucre où étalons de la confiture faite maison. Nous pouvons en manger six ou sept pendant le repas. Les produits sont du terroir, la farine vient du blé du champ voisin, les confitures faites des fruits des arbres du jardin, le cidre des pommes que nous avons ramassé, le lait bien sûr de nos vaches, les œufs de nos poules et je pourrais continuer. Seul le sucre n’est pas de notre production.
Nous passons Noël chez cette grand-mère, ma tante habitant à côté fait la cuisine, elle est cuisinière de métier et c’est avec elle que j’apprends à aimer la bonne chair. Nous sommes tout ce qui compose notre famille donc dix à table. Les repas sont interminables, les menus conséquents. Pour nous, enfants, c’est un peu long surtout que l’on doit bien se tenir à table ; mon père est intraitable sur ce fait. Les cadeaux ne sont offerts que le matin suivant ; des cadeaux simples mais l’émerveillement est compris. Je me rappelle un camion vert, plusieurs années plus tard il me semble me souvenir de l’odeur. Le plaisir d’ouvrir le carton fait partie du cadeau et je suis heureux ces jours-là.

Mon seul et unique oncle Emile, est chef d'entreprise de travaux publics, c'est le grand copain de mon père surtout pour la chasse. C’est un personnage attachant et marrant, il a toujours le sourire et fait souvent des blagues. Avec lui je pense que la vie est facile, qu’il faut s’amuser, ne pas s’encombrer de principes ni de retenues. C'est avec lui que j'ai appris à rire.
Mon oncle a un associé et à eux deux ils ont construit une baraque en bois sur une dune au bord de la plage et mes premières vacances en dehors de chez moi, je les passe là-bas. Nous sommes à 20 mètres de la mer à marée haute et la nuit nous dormons bercé par le lent mouvement des vagues venant s'échouer sur le sable. Maintenant on n'a plus le droit de construire une cabane comme cela C'est magique ces balades le long des flots au soleil couchant, les phares balayant la mer à leur rythme différent comme cherchant quelques pêcheurs égarés. Des images de lieux infinis me viennent. J’ai envie de voyages, de contrées lointaines avec des plages de sable fin, des palmiers. Le monde m’appartient. Rêveur!!! Ces jeux dans le sable, ces soirées à quatre sur des matelas à même le sol formant un grand lit. A côté de nous réside une colonie de vacances entourée de grillage, ou les coups de sifflet rythment la vie des enfants. Nous sommes conscients de notre chance d'être du bon côté de la frontière, nous sommes libres. Seule notre tante nous accompagne elle est cuisinière de métier, un plaisir en plus j’apprends à apprécier la cuisine.

dimanche 25 février 2018

Grands parents

  Quand nous ne sommes pas à la traite, ce sont les grands-parents maternels qui nous gardent, leur maison est à cinquante mètres de la nôtre, c’est pratique. Mon grand-père maternel exerce la profession de maçon, métier que je ne l'ai jamais vu pratiquer, il est à la retraite. Seules ses factures, rédigées d'une écriture élégante au porte-plume, laissent une trace de son métier. Ma grand-mère est toujours restée à la maison. Ce sont des gens d’un autre siècle, ils ont connu la fin du dix-neuvième. Mon grand père a fait la guerre quatorze. Ma mère a été conçue assez tard car, ayant eu une fille décédée à douze ans, ils ont décidé de la remplacer. Je pense que ma mère à compris ce rôle de remplaçante, ça ne l’a pas aidée dans la vie.

Je me rappelle de ma grand-mère comme une personne vieille, habillée d’une robe noire, d’un tablier gris, de gros bas noirs dans des sabots, les personnes âgées dans ce temps portent déjà le deuil de leur vie. Mon grand-père, vêtu d’un pantalon côtelé, d’une veste grise et couvert d’une casquette, parait un homme dur. Il porte une moustache roussie par le tabac gris qu’il achète dans des paquets en forme de cube. Il faut rouler les cigarettes, mon frère et moi lui volons un peu de tabac avec du papier et allons derrière la haie pour tousser comme des malades. Tous les midis ils viennent manger chez nous. Plus tard ma mère me dira que cela l’embêtait de les avoir tous les jours, elle aurait aimé se contenter de sa propre famille à table. On ne parle pas facilement de ces choses-là de peur de se fâcher.

Malgré le manque de gaité, j’aime aller chez eux. Ils habitent une petite maison bordée de champs. Un petit muret ceint la façade de l'habitation, celui-ci est surmonté d'une barre de fer en tube, peinte en vert clair, à hauteur d'un bon mètre du sol ; mon frère et moi sommes souvent sur le mur et nous faisons les funambules sur la barre ronde, il me semble même que mon frère soit tombé de cette barre et qu'il a gardé longtemps une marque à la tête. A l'arrière de la maison un petit réceptacle en ciment, sous la fenêtre de la cuisine récoltant l'eau, donne lieu de résidence à de gros escargots. Ces clapiers où l'on nourrit les lapins avec les choux du jardin des hauts choux avec leurs grandes feuilles que l'on arrache en tirant celles-ci vers le bas. Ces poules noires auxquelles nous lançons des poignées de grains, dormant dans un poulailler adossé à la maison. Un jour mon frère et moi avons pris les poules une à une, nous leur avons mis la tête sous l'aile et les faisons tourner à bout de bras, quand nous les posons elles sont comme endormies. Ma grand-mère les voyant fut affolée. Ces cabinets, eh oui! Le tout à l'égout n'existe pas encore ; c'est une petite cabane en parpaing, avec une porte en bois, où un losange est découpé pour laisser entrer la lumière. A l'intérieur est un grand siège en bois où un trou a été découpé, ce trou donne sur une grande fosse. Le siège, le trône comme on l'appelle, est grand nous pourrions nous y asseoir à trois comme dans une salle d'attente, d'ailleurs il y a de la lecture car le journal de la veille sert de papier hygiénique. Ce noyer accoté aux cages à lapin, je suis toujours déçu par ses fruits ne leur donnant pas le temps de sécher. Une barrière grillagée en armature de bois s'ouvre sur une allée centrale d'un grand jardin. C'est un délice, le matin, d'aller manger des fraises saupoudrées de rosée. J'aime manger des radis, des cives, des pommes en les cueillant.

Dans leur maison mes grands-parents ont une grande horloge comtoise qui, de son balancier doré rythme la journée et égrène les heures d’un son cristallin qui se répercute sur les murs. Une cheminée en pierre de taille dégage une odeur de fumée, sur une crémaillère un chaudron rempli d’eau fume ; le feu, cerné de chenets, crépite dessinant des ombres sur le mur. Je m’amuse avec le tisonnier à créer des petits feux d’artifice cassant les tisons de bois rougis. Un poste radio sur un bahut me fait découvrir mes premières chansons ; Yves Montant, Maurice Chevalier, Charles Trenet. Petit je ne comprenais pas d'où venaient ces voix, je me demandais comment on pouvait mettre tant de personnes dans une si petite boite, ce genre de questions, je les gardais pour moi de peur que l'on me prenne pour un idiot.

On est Dimanche matin, je parcours le chemin de notre maison à celle de mes grands-parents. La porte de la maison de mon grand-père est ouverte. Il est en train de se raser avec son blaireau et son grand rasoir à main. La radio diffuse la chanson "A bicyclette" d'Yves Montand. La nature printanière, le soleil, l’instant de vie et la musique ; un sentiment de joie gonfle en moi. Il me semble toucher un instant de bonheur et aimerait pouvoir le prolonger à l'infini. Mais le bonheur ne peut être que furtif.
Je comprends que la musique véhicule des sentiments ; celle-ci sera toujours présente tout au long de ma vie.

mardi 6 février 2018

Chronique d'une vie simple

  Le village est calme.
Les quelques commerces ouvrent les paupières de leur vitrine. Le soleil joue avec le coq en bronze tout en haut du clocher de l'église. Un tracteur déchire ce silence matinal. "C'est le fils du père François, qui va labourer" se dit le petit vieux. Il s'arrête, lève la tête afin de voir l'engin s'enfuir rendant son calme à la rue. Il reprend sa démarche hésitante aidé de sa canne. Chaque jour avec son allure d'escargot, Henri va chercher son pain et son journal. "Il est matinal!" Se disent les jeunes qui aimeraient faire la grasse matinée. La vie est ainsi faite certaines choses dont on aspire à un instant ne sont plus possibles lorsqu'on pourrait les réaliser.

Passant devant l'école, il se revoit petit avec sa blouse grise et ses brodequins, se chamaillant avec ses camarades de classe, le père François en faisait partie. L'odeur de l'encre dans les encriers en porcelaine, celle de la cire sur les bureaux en bois, lui chatouillent sa mémoire olfactive. Sur le grand tableau noir il voit encore cette carte de France faite de couleurs vertes et marron striées d'un bleu dessinant les fleuves. Au milieu trône le poêle son tuyau serpentant jusqu'à une fenêtre. Le matin à chacun son tour d'allumer ce foyer. Il y a passé les plus beaux instants de sa vie d'enfant. C'est ici qu'il a obtenu le certificat d'étude, ultime épreuve à laquelle on pouvait accéder dans sa condition de fils d'agriculteur.

Voyant le tracteur s'enfuir, il se souvient du travail au champ après l'école. Le modernisme n'était pas encore arrivé avec son lot de machines et de produits. La vie était dure, elle s'écoulait au fil du jour cependant. Un travail de force, sans stress, différent au fil des saisons. L'été était fait de fenaisons et moissons, le soleil vous tapait sur la tête malgré la casquette, la tâche était ardue mais la convivialité était là pour atténuer la douleur physique. On venait vous donner à boire un cidre qui malgré le peu d'alcool vous tournait la tête. L'automne quant à lui vous permettait de vous refaire une santé, avec ses foires, la chasse. Les odeurs dominaient recrachées par une terre fendue du soc de la charrue, par un tas de pomme en décomposition. L'hiver était la mort de la nature et l'homme avec son instinct de survie se battait pour ne pas la suivre. Jusqu'à se que le printemps bouscule tous ces sens, vous remettant sa sève dans vos veines.

Il arrive devant le monument aux morts. Lui c'était l'Algérie, il y a vécu des horreurs qu'il a gardé pour lui, par discrétion, par pudeur. Il fait partie des anciens combattants, mais les autres des grandes guerres, regardent ces "jeunes" qui ont fait une guerre qui ne porte pas vraiment ce nom. Même dans l'horreur il y a des différences. Quand il est revenu, c'était un autre homme, fini ses belles idées, ses rêves idéalistes. La dure réalité des choses l'avait endurci et replié sur lui même, une de ces charges qui lui courbent le dos maintenant.

L'église maintenant, c'est là qu'il a marié la Denise. Il l'a connue dans ces bals de villages qui n'existent plus maintenant. Un soir revenant à pied avec elle sur la route, ils se sont roulés dans l'herbe, nus. La lune jetant des ombres sur ce corps fait de monts et vallées. Ils se sont aimés jusqu'au matin par cette chaude nuit d'été.

La maison du maire se dresse majestueusement devant lui, c'est celle du maire et aussi du directeur de l'usine. Après s'être marié, la ferme n'étant pas assez rentable, il est parti à l'usine comme beaucoup d'autre. Ce furent les 3 huit un rythme régulier, monotone, une semaine le matin, une semaine l'après midi et une semaine la nuit. La vie s'écoulait au rythme des sirènes de l'usine, l'été c'étaient les vacances, choses qu'il n'avait jamais eu avant. Il en profitait pour donner un coup de main aux paysans.

L'entreprise de maçonnerie du gars Louvet, le père de celui-ci a construit sa maison, son nid douillet ou il a vécu heureux avec sa femme. Chez lui il est seul mais souvent il parle à sa femme essayant de garder le plus de souvenirs possibles. Le temps érode la mémoire; le souvenir ceux qu'on a le plus aimé s'évapore doucement et seulement une photo ou un sentiment passager vient recharger des émotions. Il n'a pas eu d'enfant cela restera le grand regret de sa vie.

La maison de retraite maintenant. Là sont tous ceux qu'il a comme connaissance, le grand Maurice son conscrit et copain d'armée, la Bernadette celle qu'il a aimée étant jeune, le Lucien sacré farceur qui n'arrêtait pas de lancer des vannes la vieillesse a eu raison de sa bonne humeur. Lui n'a pas voulu aller dans ce mouroir, il préfère rester seul chez lui, toujours solitaire. Il sait que le jour ou il ne pourra plus rester chez lui, ce ne sera pas la peine de l'emmener dans cet hospice.
Enfin c'est le cimetière. Dernière étape sourit le petit vieux. Sa Denise est déjà là , elle n'a pas résisté à la maladie du siècle, un cancer. Cela fait dix ans maintenant qu'on l'a installée dans sa demeure éternelle. L'homme après une dernière halte reprend sa canne et repart vers ce qu'il lui reste à vivre. Il n'est pas triste, il sait que pour tous, le monde finit comme cela sans exception.

Lui sa vie il en voit les étapes tous les jours en allant chercher son pain et son journal.

dimanche 28 janvier 2018

Retour de l'école

  Nous allons à l’école au bourg, éloigné d’un peu plus d’un kilomètre, nous y allons à pied ou à vélo. En CP je suis chez les « Bonnes Sœurs » c'est comme cela qu'on appelle les religieuses qui gèrent l'école privée. Mes parents sont croyants et mon père rendant service à cette école, c'est naturellement que l'on nous y met. Très peu de souvenirs dans cet environnement, si ce n’est le verre de lait que l’on nous sert au goûter. J’ai horreur du lait ! Puis il y eut un différend avec ces « Bonnes Sœurs » et mon père; nous avons donc intégré l'école laïque.

Vêtus de blouse grise, chaussés de brodequins, nous nous mettons en rang dans la cour au son de la cloche. Entrant dans la classe, l'odeur de l'encre dans les encriers en porcelaine, celle de la cire sur les bureaux en bois, nous chatouillent nos sens olfactifs. Sur le grand tableau noir une carte de France accrochée  avec ses couleurs vertes et marron striées d'un bleu dessinant les fleuves. Au milieu trône le poêle, son tuyau serpentant jusqu'à une fenêtre. Le matin, chacun son tour, nous allumons ce foyer. Là, règne une discipline de fer qui n'a rien à voir avec le pouvoir des élèves plus tard. Nous avons un maître, le directeur de l'école, qui n'hésite pas à pratiquer les punitions corporelles pour se faire respecter. Je n'ai jamais eu ce genre de punition car je ne suis pas dissipé, mais je regarde avec compassion les épreuves que doivent subir certains de mes camarades. C'est faire le tour de la cour transportant des seaux remplis de charbon jusqu'à épuisement, recevoir des coups de scions que ce prof va chercher sur la haie bordant l'école. Je ne comprends pas les enfants qui malgré tout continuent à faire les fous comme mettre de la colle sur la chaise de leur voisin quand celui-ci est debout à répondre aux questions de l'instituteur. C’est un monde dur à cette époque, les familles nombreuses, souvent les enfants se débrouillent comme ils peuvent. Ils sont habitués aux coups. Ce maitre est encore plus sévère avec son fils. Qui oserait se plaindre à ses parents?

Au retour de l’école nous rejoignons le champ où mes parents traient les vaches à la main. Les odeurs âcres du lait et acide des bouses vous agressent les narines. Contre une haie sont rangés des bidons qu'on appelle chone (enfin phonétiquement, ce mot n'existant que dans le patois local). Des nuages de guibets (tiens! Word ne connaît pas !), petits moustiques, viennent sur votre tête et vous démangent à s'en gratter jusqu'au sang. Bien sûr il y a aussi les vaches qui battent de la queue, ou jouent de leurs oreilles pour éloigner les mouches. Ces insectes viennent se noyer dans le bidon de lait ou la crème commence à monter formant des images géographiques jaunâtres sur la surface du liquide. Les vaches sont calmes en général et se laissent approcher par la personne qui va les traire, cette dernière tenant d’une main un seau de l’autre un tabouret en bois s’assied calant sa tête contre la hanche de l’animal. Les jets de lait contre l’inox produisent une musique saccadée devenant de plus en plus sourde le seau se remplissant. Ce rituel se produit matin et soir. Les vaches sont le moteur économique de notre vie; quand un défaut d’argent se profile mon père lance toujours sa réplique : "on n'a qu'à vendre une ou deux vaches". Ma mère, plus gestionnaire, pousse de hauts cris arguant : « on ne touche pas au capital ! ». Je pense que c'est plutôt une forme de dialogue, mon père disant cela afin de s’assurer que le capital est bien là, et ma mère abondant en son sens en lançant sa réplique. En fait c'est le secret de la complicité d'un couple. Je suis attentif à ce genre de comportement.

Lorsque nous rentrons de nuit de l’école, nous avons pas mal de route déserte à faire. Nous nous faisons peur en regardant les arbres sur les haies, notre imagination galopante nous fait voir des hommes avec des grands bras ; nous restons donc serrés les uns contre les autres pour faire corps si une attaque survenait. Que dire lorsque nous passons près du petit bois ; là ce n'est plus la solidarité qui prime, mais chacun pousse l'autre pour ne pas être au plus près de cette masse sombre où grouillent monstres et autres bêtes fantastiques, mais nous survivons et arrivant à la maison nous sommes des héros en puissance d’avoir vaincu ces ennemis.