Ce matin je prends le train pour la capitale.
J’arrive à la gare, pensant être juste à l’heure, j’apprends que le train a vingt minutes de retard. Sur cette ligne l’info, le scoop c’est quand le train arrive à l’heure. Il m’est déjà arrivé d’avoir une heure de retard, de finir le voyage en car et le nec plus ultra, c’est, lorsque vous arrivez à la gare, que le train est annulé. Il fût un temps ou la conscience du service public faisait en sorte que tout marchait bien, là on nous annonce que le train aura du retard et c’est plié « bon voyage !», si on veut se plaindre on peut toujours parler au haut-parleur faute d’avoir un interlocuteur.
Quoiqu’il en soit le train arrive et les usagers sont contents qu’il soit là.
Le voyage en train est une parenthèse, déjà parti et pas encore arrivé, nous sommes cloisonnés dans un wagon, comme dans une grande pièce et allons, sans nous connaître, passer un moment ensemble. Un peu de notre vie est dévoilée surtout si c’est une famille avec des enfants, ces derniers sans préjugé, vivent l’instant, ils s’adaptent au contexte. Il m’est arrivé, voyageant avec ma femme et mes deux fils, que l’ainé, âgé de cinq ans, raconte à la personne, devant, toute notre vie. Certains n’aiment pas les enfants, enfin surtout ceux des autres, ils les dérangent, ils sont regardés d’un œil mauvais et si l’enfant en question est attentif il n’ira pas se frotter à ses réfractaires.
Là je suis en première, début d’après-midi, peu de monde, l’endroit est calme. Chacun vaque à ses occupations, essayant de rendre le moment agréable, elle, faisant des mots croisés, lui, lisant un livre ou jouant sur une console. Le voyage s’écoule à la fréquence des poteaux qui défilent dehors, rythmé par le bruit des roues sur les rails.
Pas besoin de savoir que le voyage se termine, dix minutes avant, les gens commencent à s’agiter, descendent les valises, mettent leur manteau, certains même commencent à remonter le train ce sera ça de gagné à l’arrivée. Si vous restez assis, on vous regarde avec circonspection comme disant : « il n’a pas compris qu’on arrive ou que c’est le terminus! ». Il faut être dans le mouvement sinon vous passez pour un original. J’attends, ne voulant pas suivre la foule, que le train s’arrête pour me préparer; mais déjà la frénésie de Paris se fait sentir, une équipe de nettoyeur arrive avec des seaux et des serpillières vous faisant comprendre que vous dérangez.
Ce n’est pourtant qu’en passant les portes des stations de métro qu’on se sent arrivé à Paris. C’est la publicité que je remarque en premier, en province nous ne sommes pas assailli par ces panneaux; là il y en a partout, nous ventant leurs marchandises.
Dans les couloirs il faut suivre le flux sinon vous vous faites harangué et bousculé par le monde pressé qui cherche désespérément à récupérer un temps perdu. En fait je comprends pourquoi les gens s’agitent à l’arrivée dans le train, c’est pour être dans le rythme plus tard. Pas question de s’arrêter pour chercher son chemin, la foule vous emmène.
Dans le métro, une autre vie commence. L’intimité n’est plus de mise, vous vous collez à des gens que vous ne connaissez pas. Le flux aux stations régénère la population mais quand vous sortirez vous aurez l’impression que tout le monde se ressemble. L’indifférence est de rigueur, la plus part ne se regarde pas ils sont dans leur bulle, bulle accentuée par ce petit écran lumineux qui captive la majorité. J’ai toujours passé mon temps à observer les gens à essayer de les deviner dans leur vie ; parfois je soutire un éclair, un sourire et c’est rassurant de savoir qu’il y a encore des gens ouverts aux autres.
Quand le wagon s’éclaircit, arrive le mendiant avec sa gamelle. Avant, ils racontaient tout une vie de misère, celui-là ne dit plus rien, il s’arrête devant vous, tend un verre en plastique et vous fixe de ses yeux vides. Il nous fait comprendre qu’on ne peut pas le laisser dans le besoin. Je le regarde ça fonctionne, il récolte quelques pièces , mais ce sont encore les écrans qui servent de rempart pour certains; ne levant pas la tête malgré l’insistance du demandeur.
Bientôt tout le monde aura sa carapace, son armure, ce sera la fin des sourires et de la manche dans le métro.
Je sors enfin à l’air libre après un long voyage. Je reprends facilement mes marques et tombe encore devant un mendiant, mon mendiant devant Monoprix, il me reconnait, me sourit, il vend des journaux locaux et j’ai l’habitude de lui donner la pièce et de lui parler. Je vois la marchande de quatre saisons qui me dit bonjour ; j’ai une vague impression que leur monde s’est arrêté pendant que j’étais parti.
Une impression qu’ils m’attendaient pour reprendre vie.
jeudi 27 décembre 2018
Voyage
mercredi 19 décembre 2018
Ultime voyage
Je roulais doucement, dans un silence pesant. Mes passagers ne
disaient rien, je faisais attention à eux, évitant les trous, prenant les
virages lentement afin de ne pas trop les secouer. Je voyais le soleil
poindre en haut de la colline et ça m'inquiétait.
Tout a commencé ce matin.
Je
revenais des vaches comme on dit avec ma femme et le commis. Elle était
là assise sur la margelle du puits devant la maison. Tout de noir vêtue
comme sont les vieilles en général mais là son habit signifiait autre
chose.
- Bonjour Henri déclara t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour Germaine répondis-je, entrez prendre un café!
La
faim commençait à me tirailler, levé depuis 3 heures avec un seul café
dans l'estomac. Une fois installés à la grande table en chêne de la
cuisine, après les conversations d'usage sur le temps et les récoltes,
germaine enchaine:
- Henry tu sais le malheur qui m'arrive!
Ce
n'était pas une question car tout le bourg avait appris la nouvelle la
veille au soir à savoir que la fille de Germaine et son gendre avaient
eu un accident de voiture. Ils étaient tombés dans l'orne, le fleuve qui
se jette dans la Manche.
- Oui Germaine mes condoléances dis-je.
-
Ma fille et mon gendre sont restés au village à une trentaine de
kilomètres d'ici tu es un des seuls à avoir une voiture, j'aimerais que
tu viennes les chercher avec moi et les ramener dans ma demeure avant
l'enterrement.
- C'est pas rien ce que vous me demandez là Germaine, je n'ai jamais transporté de corps! ça se prépare!
- Je le sais bien mais là nous sommes pris par le temps et ça presse; je veux les veiller ce soir avant la cérémonie de demain.
- Laissez-moi manger un morceau et on se met en route.
Après
m'être restauré et avoir mis le nécessaire dans la voiture nous sommes
partis. Nous avons pris la route de la suisse normande, ainsi appelée
par le paysage vallonné et vert ressemblant à la Suisse. Germaine
restait muette; je me demandais comment entamer la conversation. Rien ne
me venait à l'esprit que des choses banales et futiles vu le contexte.
Elle était digne comme la plupart des gens de la campagne. On ne laisse
pas apparaitre les émotions; ce n'est que lorsqu'on a rejoint le fleuve
qu'une larme a coulé sur son visage suivant les rides de sa vie de
labeur.
- A fallu que ce fleuve me prenne les deux vies les plus chères déclama t-elle
- Je sais Germaine je ne peux que vous aider dans votre malheur, je ne pourrais pas vous soulager.
- Merci c'est déjà bien de m'aider
La
route sinueuse défile devant nous,le printemps a repeint le paysage et
l'air sent le renouveau. Une heure après notre départ nous arrivons à
destination.
- Ils sont à la mairie m'indique Germaine.
Une
fois sur les lieux il nous fallut aller chercher le maire qui
travaillait dans son champ, s'en revenant à pied il nous raconta comment
se sont passés les événements. Vers l'angélus un pécheur au bord de
l'orne entend un coup de frein et voit une voiture plonger à une
centaine de mètre de lui. Il court sur les lieux tout en disant à un
passant d'alerter les pompiers. Quand il arrive, la voiture n'est presque
plus visible, il se dévêt et plonge, mais ce n'est pas un bon nageur. A
plusieurs reprises il essaie d'atteindre la voiture et au bout
d'énormes efforts il y parvient, malheureusement il n'arrive pas à
ouvrir les portes ; les personnes à l'intérieur sont inconscientes.
Après dix minutes le pécheur renonce, les pompiers arrivent 30 minutes
plus tard et ne peuvent que remorquer la voiture sur la berge. Les
gendarmes constatent le décès des deux passagers et ayant trouvé les
papiers avertissent le maire du village de Germaine. En attendant les
corps ont été entreposés dans la salle de mariage de la mairie. Arrivant
dans la pièce nous voyons les deux corps allongés sur des tables. Les
corps enveloppés dans des draps blancs furent installés sur les sièges
arrière de ma voiture.
Et nous voilà reparti avec la macabre compagnie!
Je
jette de temps en temps un coup d'œil dans le rétro à un moment je vois
les corps qui se sont rapprochés comme pour ne plus se quitter dans
leur nouveau monde. J'aperçois donc le soleil poindre à l'horizon et me
dit que s'il fait trop chaud la ventilation ne suffira pas et se sera
une catastrophe en arrivant. Germaine elle, parait soulagée d'avoir
retrouvé ses enfants, ses traits se détendent et le sentiment du devoir
accompli lui épanouit le visage. Devoir accompli pensais je! Pas encore,
l'expédition commence. Ma vitesse réduite me fait l'honneur des
avertisseurs, et une file de cinq ou six voitures se forme derrière moi à
cause de la sinuosité de la route. Avec les klaxons on pourrait croire à
une procession de mariage pensé-je en souriant malgré moi. N'en pouvant
plus je me mets sur le bas-côté pour laisser passer les voitures. Je
décide d'accélérer un peu, je ne peux avoir un cortège derrière moi.
- On pourrait peut-être dire une prière réclame Germaine rompant le silence.
-
Dites ce que vous voulez mais moi je conduis je ne connais pas de
psaume. Je préfère que vous le fassiez tout bas afin que je reste
concentré.
Malgré mes recommandations j'entends ma passagère
psalmodier des invectives moitié latin moitié patois tout cela
accompagné de signes de croix. J'ai toujours eu du mal avec les
bondieuseries, j'ai tellement vu de choses, je me dis que le destin de
l'homme lui appartient et qu'une fois mort on est mort un point c'est
tout. Mais je laisse la femme se réconforter avec tout ce qu'on lui a
appris.
Au loin j'aperçois des motards de la police et pense que les
ennuis ne sont pas finis.
Un gendarme me fait signe de me ranger sur le côté de la route. "Contrôle des papiers ordonne-t-il!"
- Vous transportez quoi sous ses draps derrière ?
- Deux cadavres que je remmène à la maison.
- Deux cadavres? Mais vous n'avez pas le droit, vous avez des papiers en règle pour cela?
- Ben non on ne nous a pas dit et de plus le temps presse.
- Le temps presse plus pour ceux-là en tout cas répond-il! avec sa logique administrative.
A ce moment la radio sur la moto se met à crépiter il court et prend le micro. Un instant après il revient vers nous.
- vous avez de la chance une urgence je dois partir; allez-y!
De la chance pensais-je il se moque de moi.
- Ces poulets ils sont toujours là pour embêter les braves gens déclame Germaine.
- Bon! Ils sont là pour faire leur boulot.
On arrive à la grande ville.
- On pourrait s'arrêter boire un verre Henri il fait soif!
- ça va pas Germaine on ne va pas laisser les corps seuls dans la voiture vous perdez la tête!
- Je disais ça moi, c'est pour vous; pour vous remercier.
- Comprenez que la chaleur arrive et qu'il faut déposer les corps le plus rapidement possible.
Je
continue la route dans un silence. Germaine semble vexée. En fait ce
voyage semble lui plaire, elle n'est plus seule et cela rompt la
monotonie de la vie qu'elle mène.
Arrivé à destination
je me coltine les deux corps et les étend sur leur lit. On les dirait
endormi. C'est ce qu'ils sont, endormis à jamais côte à côte. Germaine
pleure dans sa cuisine en préparant le café.
"Je n'ai même pas quelque chose à vous donner à manger"
- Vous inquiétez pas va! Je ne suis pas loin de la maison.
- Vous allez pas me laisser seule avec ces deux-là!
- En passant je vais voir Gustave il va venir avec sa femme.
- Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin avec moi je n'aurais pas pu le faire et je vous en suis redevable.
-
Redevable de rien si on ne se sert pas les coudes quand il y a un
malheur où va le monde? Pleurez vos enfants et laissez les autres faire
le reste.
Je sors. Le soleil est à son zénith me redonnant le courage pour partir finir ma journée.
Le soleil est la vie derrière moi est la mort.