Quand nous ne sommes pas à la traite, ce sont les grands-parents maternels qui nous gardent, leur maison est à cinquante mètres de la nôtre, c’est pratique. Mon grand-père maternel exerce la profession de maçon, métier que je ne l'ai jamais vu pratiquer, il est à la retraite. Seules ses factures, rédigées d'une écriture élégante au porte-plume, laissent une trace de son métier. Ma grand-mère est toujours restée à la maison. Ce sont des gens d’un autre siècle, ils ont connu la fin du dix-neuvième. Mon grand père a fait la guerre quatorze. Ma mère a été conçue assez tard car, ayant eu une fille décédée à douze ans, ils ont décidé de la remplacer. Je pense que ma mère à compris ce rôle de remplaçante, ça ne l’a pas aidée dans la vie.
Je me rappelle de ma grand-mère comme une personne vieille, habillée d’une robe noire, d’un tablier gris, de gros bas noirs dans des sabots, les personnes âgées dans ce temps portent déjà le deuil de leur vie. Mon grand-père, vêtu d’un pantalon côtelé, d’une veste grise et couvert d’une casquette, parait un homme dur. Il porte une moustache roussie par le tabac gris qu’il achète dans des paquets en forme de cube. Il faut rouler les cigarettes, mon frère et moi lui volons un peu de tabac avec du papier et allons derrière la haie pour tousser comme des malades. Tous les midis ils viennent manger chez nous. Plus tard ma mère me dira que cela l’embêtait de les avoir tous les jours, elle aurait aimé se contenter de sa propre famille à table. On ne parle pas facilement de ces choses-là de peur de se fâcher.
Malgré le manque de gaité, j’aime aller chez eux. Ils habitent une petite maison bordée de champs. Un petit muret ceint la façade de l'habitation, celui-ci est surmonté d'une barre de fer en tube, peinte en vert clair, à hauteur d'un bon mètre du sol ; mon frère et moi sommes souvent sur le mur et nous faisons les funambules sur la barre ronde, il me semble même que mon frère soit tombé de cette barre et qu'il a gardé longtemps une marque à la tête. A l'arrière de la maison un petit réceptacle en ciment, sous la fenêtre de la cuisine récoltant l'eau, donne lieu de résidence à de gros escargots. Ces clapiers où l'on nourrit les lapins avec les choux du jardin des hauts choux avec leurs grandes feuilles que l'on arrache en tirant celles-ci vers le bas. Ces poules noires auxquelles nous lançons des poignées de grains, dormant dans un poulailler adossé à la maison. Un jour mon frère et moi avons pris les poules une à une, nous leur avons mis la tête sous l'aile et les faisons tourner à bout de bras, quand nous les posons elles sont comme endormies. Ma grand-mère les voyant fut affolée. Ces cabinets, eh oui! Le tout à l'égout n'existe pas encore ; c'est une petite cabane en parpaing, avec une porte en bois, où un losange est découpé pour laisser entrer la lumière. A l'intérieur est un grand siège en bois où un trou a été découpé, ce trou donne sur une grande fosse. Le siège, le trône comme on l'appelle, est grand nous pourrions nous y asseoir à trois comme dans une salle d'attente, d'ailleurs il y a de la lecture car le journal de la veille sert de papier hygiénique. Ce noyer accoté aux cages à lapin, je suis toujours déçu par ses fruits ne leur donnant pas le temps de sécher. Une barrière grillagée en armature de bois s'ouvre sur une allée centrale d'un grand jardin. C'est un délice, le matin, d'aller manger des fraises saupoudrées de rosée. J'aime manger des radis, des cives, des pommes en les cueillant.
Dans leur maison mes grands-parents ont une grande horloge comtoise qui, de son balancier doré rythme la journée et égrène les heures d’un son cristallin qui se répercute sur les murs. Une cheminée en pierre de taille dégage une odeur de fumée, sur une crémaillère un chaudron rempli d’eau fume ; le feu, cerné de chenets, crépite dessinant des ombres sur le mur. Je m’amuse avec le tisonnier à créer des petits feux d’artifice cassant les tisons de bois rougis. Un poste radio sur un bahut me fait découvrir mes premières chansons ; Yves Montant, Maurice Chevalier, Charles Trenet. Petit je ne comprenais pas d'où venaient ces voix, je me demandais comment on pouvait mettre tant de personnes dans une si petite boite, ce genre de questions, je les gardais pour moi de peur que l'on me prenne pour un idiot.
On est Dimanche matin, je parcours le chemin de notre maison à celle de mes grands-parents. La porte de la maison de mon grand-père est ouverte. Il est en train de se raser avec son blaireau et son grand rasoir à main. La radio diffuse la chanson "A bicyclette" d'Yves Montand. La nature printanière, le soleil, l’instant de vie et la musique ; un sentiment de joie gonfle en moi. Il me semble toucher un instant de bonheur et aimerait pouvoir le prolonger à l'infini. Mais le bonheur ne peut être que furtif.
Je comprends que la musique véhicule des sentiments ; celle-ci sera toujours présente tout au long de ma vie.
dimanche 25 février 2018
Grands parents
mardi 6 février 2018
Chronique d'une vie simple
Le village est calme.
Les quelques commerces ouvrent les paupières de leur vitrine. Le soleil joue avec le coq en bronze tout en haut du clocher de l'église. Un tracteur déchire ce silence matinal. "C'est le fils du père François, qui va labourer" se dit le petit vieux. Il s'arrête, lève la tête afin de voir l'engin s'enfuir rendant son calme à la rue. Il reprend sa démarche hésitante aidé de sa canne. Chaque jour avec son allure d'escargot, Henri va chercher son pain et son journal. "Il est matinal!" Se disent les jeunes qui aimeraient faire la grasse matinée. La vie est ainsi faite certaines choses dont on aspire à un instant ne sont plus possibles lorsqu'on pourrait les réaliser.
Passant devant l'école, il se revoit petit avec sa blouse grise et ses brodequins, se chamaillant avec ses camarades de classe, le père François en faisait partie. L'odeur de l'encre dans les encriers en porcelaine, celle de la cire sur les bureaux en bois, lui chatouillent sa mémoire olfactive. Sur le grand tableau noir il voit encore cette carte de France faite de couleurs vertes et marron striées d'un bleu dessinant les fleuves. Au milieu trône le poêle son tuyau serpentant jusqu'à une fenêtre. Le matin à chacun son tour d'allumer ce foyer. Il y a passé les plus beaux instants de sa vie d'enfant. C'est ici qu'il a obtenu le certificat d'étude, ultime épreuve à laquelle on pouvait accéder dans sa condition de fils d'agriculteur.
Voyant le tracteur s'enfuir, il se souvient du travail au champ après l'école. Le modernisme n'était pas encore arrivé avec son lot de machines et de produits. La vie était dure, elle s'écoulait au fil du jour cependant. Un travail de force, sans stress, différent au fil des saisons. L'été était fait de fenaisons et moissons, le soleil vous tapait sur la tête malgré la casquette, la tâche était ardue mais la convivialité était là pour atténuer la douleur physique. On venait vous donner à boire un cidre qui malgré le peu d'alcool vous tournait la tête. L'automne quant à lui vous permettait de vous refaire une santé, avec ses foires, la chasse. Les odeurs dominaient recrachées par une terre fendue du soc de la charrue, par un tas de pomme en décomposition. L'hiver était la mort de la nature et l'homme avec son instinct de survie se battait pour ne pas la suivre. Jusqu'à se que le printemps bouscule tous ces sens, vous remettant sa sève dans vos veines.
Il arrive devant le monument aux morts. Lui c'était l'Algérie, il y a vécu des horreurs qu'il a gardé pour lui, par discrétion, par pudeur. Il fait partie des anciens combattants, mais les autres des grandes guerres, regardent ces "jeunes" qui ont fait une guerre qui ne porte pas vraiment ce nom. Même dans l'horreur il y a des différences. Quand il est revenu, c'était un autre homme, fini ses belles idées, ses rêves idéalistes. La dure réalité des choses l'avait endurci et replié sur lui même, une de ces charges qui lui courbent le dos maintenant.
L'église maintenant, c'est là qu'il a marié la Denise. Il l'a connue dans ces bals de villages qui n'existent plus maintenant. Un soir revenant à pied avec elle sur la route, ils se sont roulés dans l'herbe, nus. La lune jetant des ombres sur ce corps fait de monts et vallées. Ils se sont aimés jusqu'au matin par cette chaude nuit d'été.
La maison du maire se dresse majestueusement devant lui, c'est celle du maire et aussi du directeur de l'usine. Après s'être marié, la ferme n'étant pas assez rentable, il est parti à l'usine comme beaucoup d'autre. Ce furent les 3 huit un rythme régulier, monotone, une semaine le matin, une semaine l'après midi et une semaine la nuit. La vie s'écoulait au rythme des sirènes de l'usine, l'été c'étaient les vacances, choses qu'il n'avait jamais eu avant. Il en profitait pour donner un coup de main aux paysans.
L'entreprise de maçonnerie du gars Louvet, le père de celui-ci a construit sa maison, son nid douillet ou il a vécu heureux avec sa femme. Chez lui il est seul mais souvent il parle à sa femme essayant de garder le plus de souvenirs possibles. Le temps érode la mémoire; le souvenir ceux qu'on a le plus aimé s'évapore doucement et seulement une photo ou un sentiment passager vient recharger des émotions. Il n'a pas eu d'enfant cela restera le grand regret de sa vie.
La maison de retraite maintenant. Là sont tous ceux qu'il a comme connaissance, le grand Maurice son conscrit et copain d'armée, la Bernadette celle qu'il a aimée étant jeune, le Lucien sacré farceur qui n'arrêtait pas de lancer des vannes la vieillesse a eu raison de sa bonne humeur. Lui n'a pas voulu aller dans ce mouroir, il préfère rester seul chez lui, toujours solitaire. Il sait que le jour ou il ne pourra plus rester chez lui, ce ne sera pas la peine de l'emmener dans cet hospice.
Enfin c'est le cimetière. Dernière étape sourit le petit vieux. Sa Denise est déjà là , elle n'a pas résisté à la maladie du siècle, un cancer. Cela fait dix ans maintenant qu'on l'a installée dans sa demeure éternelle. L'homme après une dernière halte reprend sa canne et repart vers ce qu'il lui reste à vivre. Il n'est pas triste, il sait que pour tous, le monde finit comme cela sans exception.
Lui sa vie il en voit les étapes tous les jours en allant chercher son pain et son journal.