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jeudi 8 avril 2021

Ainsi va la vie.

  Il fait chaud sous le soleil qui tape sur la tête malgré la casquette épaisse. Marcel travaille aux champs, son père l’a mis à quatorze ans comme commis dans une ferme. Il respire la santé après quatre ans de travaux de force en plein air. Apprenant son métier au fil du temps. Il aime les bêtes et travailler la terre.

Mais Marcel est préoccupé, il veut marier la Denise et il lui faudra gagner plus d’argent. Ce n’est pas son salaire de misère qui fera vivre le couple. Alors il y a l’autre solution. L’usine. Tous ses copains y vont ,surtout à l’usine d’amiante où on paie plus qu’ailleurs. Les avantages sont nombreux, toucher son salaire quoiqu’il arrive, avoir des congés et payés en plus ce qu’il a du mal à comprendre; sa vie sera réglée; plus besoin de regarder le ciel pour voir ce qu’il lui réserve.
Donc demain il prendra son vélo et descendra dans la vallée pour y rencontrer le nouveau contexte de sa vie professionnelle.La paie est bonne. Lui et sa femme peuvent faire des projets. Ils vont à la banque pour contracter un emprunt qui leur permet d’acheter une petite maison à l’orée du bourg. Doucement la vie prend ses marques, lui, régulier dans ses horaires, part et revient du travail pendant que Denise s’occupe de la maison et s’entraide avec ses amies. Le soir, en montant la côte raide de la vallée, Marcel fait des projets dans sa tête, il est heureux et rien ne peut gâcher son bonheur.

Il lui a bien fallu s’habituer à la chaleur de l’usine, surtout à cette poussière suffocante au début, maintenant c’est devenu sa compagne de travail, cette poussière il l’a ramène même chez lui et sa femme a du mal à laver cette poudre grise. Mais ce n’est pas ces petits inconvénients qui entament la joie de notre homme. Les jours passent succédant aux mois et aux années. Un bébé est venu animer la maison.La montée est de plus en plus difficile, Marcel s’essouffle plus rapidement, le poids des ans sourit-il optimiste même si une toux insistante vient troubler sa quiétude. Une rumeur commence à poindre dans le village, deux hommes arrivant à la retraite sont morts malades des poumons, ils travaillaient à l’usine de Marcel. Ce dernier se dit qu’ils n’étaient pas si robustes que cela ; ils buvaient aussi pour étancher toute cette poussière accumulée dans leur gorge. En haut de la vallée, quand le vent vient de l’ouest, on sent parfois l’odeur que disperse cette brise, « l’odeur du Roqueret dit-on! » lieu où est implantée l’usine.

Les rumeurs circulent mais on ne dit pas de mal d’une entreprise qui donne du travail à la majeure partie de la région et permet au bourg de se développer. Marcel devient de plus en plus sombre, le matin il a des quintes de toux en se levant. Sa femme s’inquiète. Cette poussière semble avoir raison de l’optimiste de l’homme; en fait de compagne elle devient petit à petit une ennemie à son bonheur. Un jour il se décide d’aller voir son médecin. Ce dernier lui rétorque que c’est un mauvais passage qu’avec un peu de sirop ça va passer. Ce praticien voit passer de plus en plus de gens comme Marcel mais il ne cherche pas à comprendre les raisons; se ralliant à l’opinion publique comme quoi l’usine fait vivre le village. Dans ce monde d’origine paysanne et chrétienne on ne critique pas ceux qui donnent du travail aux populations.De plus en plus de personnes meurent de ce qu’on n’appelle pas encore le cancer de l’amiante. Dans le village il était de coutume de dire « les gars de l’usine passent rarement la première année de retraite ! » Comme si le mal à l’intérieur des corps se révoltait pour un besoin d’amiante.

Si je raconte cela aujourd’hui c’est que je suis tombé sur l’interview d’un type qui a fait un documentaire sur l’amiante. Il est parti du journal intime de son père retrouvé une dizaine d’année après la mort de l’auteur. Son père ne bossait pas à l’usine, il était instit puis proviseur, son amiantage (mot vulgaire !) il l’a eu dans l’école où il travaillait. En échange d’aide financière on lui a demandé le silence sur le lieu.Il y a deux ou trois ans en prenant le train j’ai croisé des gens qui parlaient du pays, je les ai accosté pour leur demander d’où ils étaient ; c’étaient des syndicalistes de Condé-sur-noireau ils venaient régulièrement à Paris négocier des indemnités pour les amiantés. Le grand public a commencé à en entendre parler dans les années 70. Des chercheurs de l’université de Jussieu à Paris se plaignaient de poussières qui venaient troubler leurs expériences chimiques. Il a fallu attendre encore 20 ans pour que le scandale éclate vraiment et que l’on s’aperçoive que les industriels et experts à leurs bottes savaient mais ont continué à exploiter et nier la dangerosité de ce produit. Je n’ai pas le courage de parler de ces criminels impunis.

Et le Marcel dans tout ça ? Vous me direz ! Il a profité de sa retraite étant pris assez tôt pour que l’on sauve un de ses poumons. Accroché à sa bouteille d’oxygène, il regardait les paysans travaillant leurs champs en se disant, avec un soupçon de regret, « ainsi va la vie ! ».

mardi 29 janvier 2019

Le temps

  Contre un mur de la pièce s’érigeait une horloge comtoise. Petit, elle me semblait géante. Fallait-il que le temps, à l’époque, ait de l’importance pour qu’on l’honore du plus beau meuble.

Je perdais mon temps à écouter le tic-tac égrenant les secondes ; laissais mon imagination voguer au rythme du balancier doré.
Je partais dans des songes sans histoires réelles, seulement un voyage dans le temps. Il était bon de se poser en se ressourçant au son de l’écoulement du temps.

Maintenant où on n’a plus le temps, d’ailleurs plus d’horloge comtoise. On court après des minutes à jamais perdues. Le temps n’a jamais eu autant d’importance et on ne le prend pas. Peut-être faudrait-il retourner le sablier de notre vie pour retrouver le bon rythme.

Que de temps perdu à essayer d’en gagner!

La réalité revenait vite quand le carillon sonnait. Nous n’étions pas surpris, juste avant, le ressort nous indiquait que le son cristallin allait emplir la pièce, scandant les heures passées.
Les gens installés venaient de vivre, à leur insu, un moment. En communion ils prenaient conscience qu’un peu de leur vie s’était dissipé.
La nostalgie du temps perdu n’avait pas le temps de s’installer car le son, après avoir percuté les murs en écho, s’évaporait laissant le tic-tac reprendre son lent écoulement inexorable.

Plus le temps a de l’importance plus les horloges se réduisent, comme si l’on ne voulait pas entendre le temps s’en aller. La musique des secondes s’envolant nous manque pour prendre conscience de la fréquence à laquelle bat notre vie.

Dans le temps on avait le temps !

Si vous avez pris le temps de me lire, merci ! J’espère seulement que vous n’aurez pas perdu votre temps.

Une des plus grandes libertés, c’est d’avoir le temps de faire les choses.

mercredi 19 décembre 2018

Ultime voyage

  Je roulais doucement, dans un silence pesant. Mes passagers ne disaient rien, je faisais attention à eux, évitant les trous, prenant les virages lentement afin de ne pas trop les secouer. Je voyais le soleil poindre en haut de la colline et ça m'inquiétait.

Tout a commencé ce matin.

Je revenais des vaches comme on dit avec ma femme et le commis. Elle était là assise sur la margelle du puits devant la maison. Tout de noir vêtue comme sont les vieilles en général mais là son habit signifiait autre chose.
- Bonjour Henri déclara t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour Germaine répondis-je, entrez prendre un café!
La faim commençait à me tirailler, levé depuis 3 heures avec un seul café dans l'estomac. Une fois installés à la grande table en chêne de la cuisine, après les conversations d'usage sur le temps et les récoltes, germaine enchaine:
- Henry tu sais le malheur qui m'arrive!
Ce n'était pas une question car tout le bourg avait appris la nouvelle la veille au soir à savoir que la fille de Germaine et son gendre avaient eu un accident de voiture. Ils étaient tombés dans l'orne, le fleuve qui se jette dans la Manche.
- Oui Germaine mes condoléances dis-je.
- Ma fille et mon gendre sont restés au village à une trentaine de kilomètres d'ici tu es un des seuls à avoir une voiture, j'aimerais que tu viennes les chercher avec moi et les ramener dans ma demeure avant l'enterrement.
- C'est pas rien ce que vous me demandez là Germaine, je n'ai jamais transporté de corps! ça se prépare!
- Je le sais bien mais là nous sommes pris par le temps et ça presse; je veux les veiller ce soir avant la cérémonie de demain.
- Laissez-moi manger un morceau et on se met en route.

Après m'être restauré et avoir mis le nécessaire dans la voiture nous sommes partis. Nous avons pris la route de la suisse normande, ainsi appelée par le paysage vallonné et vert ressemblant à la Suisse. Germaine restait muette; je me demandais comment entamer la conversation. Rien ne me venait à l'esprit que des choses banales et futiles vu le contexte. Elle était digne comme la plupart des gens de la campagne. On ne laisse pas apparaitre les émotions; ce n'est que lorsqu'on a rejoint le fleuve qu'une larme a coulé sur son visage suivant les rides de sa vie de labeur.
- A fallu que ce fleuve me prenne les deux vies les plus chères déclama t-elle
- Je sais Germaine je ne peux que vous aider dans votre malheur, je ne pourrais pas vous soulager.
- Merci c'est déjà bien de m'aider

La route sinueuse défile devant nous,le printemps a repeint le paysage et l'air sent le renouveau. Une heure après notre départ nous arrivons à destination.
- Ils sont à la mairie m'indique Germaine.
Une fois sur les lieux il nous fallut aller chercher le maire qui travaillait dans son champ, s'en revenant à pied il nous raconta comment se sont passés les événements. Vers l'angélus un pécheur au bord de l'orne entend un coup de frein et voit une voiture plonger à une centaine de mètre de lui. Il court sur les lieux tout en disant à un passant d'alerter les pompiers. Quand il arrive, la voiture n'est presque plus visible, il se dévêt et plonge, mais ce n'est pas un bon nageur. A plusieurs reprises il essaie d'atteindre la voiture et au bout d'énormes efforts il y parvient, malheureusement il n'arrive pas à ouvrir les portes ; les personnes à l'intérieur sont inconscientes. Après dix minutes le pécheur renonce, les pompiers arrivent 30 minutes plus tard et ne peuvent que remorquer la voiture sur la berge. Les gendarmes constatent le décès des deux passagers et ayant trouvé les papiers avertissent le maire du village de Germaine. En attendant les corps ont été entreposés dans la salle de mariage de la mairie. Arrivant dans la pièce nous voyons les deux corps allongés sur des tables. Les corps enveloppés dans des draps blancs furent installés sur les sièges arrière de ma voiture.
Et nous voilà reparti avec la macabre compagnie!

Je jette de temps en temps un coup d'œil dans le rétro à un moment je vois les corps qui se sont rapprochés comme pour ne plus se quitter dans leur nouveau monde. J'aperçois donc le soleil poindre à l'horizon et me dit que s'il fait trop chaud la ventilation ne suffira pas et se sera une catastrophe en arrivant. Germaine elle, parait soulagée d'avoir retrouvé ses enfants, ses traits se détendent et le sentiment du devoir accompli lui épanouit le visage. Devoir accompli pensais je! Pas encore, l'expédition commence. Ma vitesse réduite me fait l'honneur des avertisseurs, et une file de cinq ou six voitures se forme derrière moi à cause de la sinuosité de la route. Avec les klaxons on pourrait croire à une procession de mariage pensé-je en souriant malgré moi. N'en pouvant plus je me mets sur le bas-côté pour laisser passer les voitures. Je décide d'accélérer un peu, je ne peux avoir un cortège derrière moi.
- On pourrait peut-être dire une prière réclame Germaine rompant le silence.
- Dites ce que vous voulez mais moi je conduis je ne connais pas de psaume. Je préfère que vous le fassiez tout bas afin que je reste concentré.
Malgré mes recommandations j'entends ma passagère psalmodier des invectives moitié latin moitié patois tout cela accompagné de signes de croix. J'ai toujours eu du mal avec les bondieuseries, j'ai tellement vu de choses, je me dis que le destin de l'homme lui appartient et qu'une fois mort on est mort un point c'est tout. Mais je laisse la femme se réconforter avec tout ce qu'on lui a appris.

Au loin j'aperçois des motards de la police et pense que les ennuis ne sont pas finis.

Un gendarme me fait signe de me ranger sur le côté de la route. "Contrôle des papiers ordonne-t-il!"
- Vous transportez quoi sous ses draps derrière ?
- Deux cadavres que je remmène à la maison.
- Deux cadavres? Mais vous n'avez pas le droit, vous avez des papiers en règle pour cela?
- Ben non on ne nous a pas dit et de plus le temps presse.
- Le temps presse plus pour ceux-là en tout cas répond-il! avec sa logique administrative.
A ce moment la radio sur la moto se met à crépiter il court et prend le micro. Un instant après il revient vers nous.
- vous avez de la chance une urgence je dois partir; allez-y!

De la chance pensais-je il se moque de moi.
- Ces poulets ils sont toujours là pour embêter les braves gens déclame Germaine.
- Bon! Ils sont là pour faire leur boulot.
On arrive à la grande ville.
- On pourrait s'arrêter boire un verre Henri il fait soif!
- ça va pas Germaine on ne va pas laisser les corps seuls dans la voiture vous perdez la tête!
- Je disais ça moi, c'est pour vous; pour vous remercier.
- Comprenez que la chaleur arrive et qu'il faut déposer les corps le plus rapidement possible.

Je continue la route dans un silence. Germaine semble vexée. En fait ce voyage semble lui plaire, elle n'est plus seule et cela rompt la monotonie de la vie qu'elle mène.

Arrivé à destination je me coltine les deux corps et les étend sur leur lit. On les dirait endormi. C'est ce qu'ils sont, endormis à jamais côte à côte. Germaine pleure dans sa cuisine en préparant le café.
"Je n'ai même pas quelque chose à vous donner à manger"
- Vous inquiétez pas va! Je ne suis pas loin de la maison.
- Vous allez pas me laisser seule avec ces deux-là!
- En passant je vais voir Gustave il va venir avec sa femme.
- Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin avec moi je n'aurais pas pu le faire et je vous en suis redevable.
- Redevable de rien si on ne se sert pas les coudes quand il y a un malheur où va le monde? Pleurez vos enfants et laissez les autres faire le reste.

Je sors. Le soleil est à son zénith me redonnant le courage pour partir finir ma journée.

Le soleil est la vie derrière moi est la mort.

jeudi 18 octobre 2018

L’automne à la campagne

  De toutes les saisons c’est l’automne que je préfère; bien que ce soit l’annonce de jours plus froids..

D’abord l’automne c’est une ambiance. En marchant le matin dans un chemin, un silence vous envahit comme si l’été avait été un bavardage incessant. Ce silence est ponctué d’un frémissement de feuille que vient troubler une brise, perturbé par le meuglement d’une vache au loin ou par les coqs matinaux qui se répondent. Un sentiment d’air ouaté vous envoute.

Après l’ambiance c’est la lumière qui, surtout pour moi qui aime la photo, fait la magie de cette période. Les matins et soirs sont enflammés par un soleil rougeoyant; la nature est repeinte comme regardée à travers un filtre orangé. Le matin le soleil joue avec des nappes de brouillards rasantes posées sur un champ de blés coupés; ces nappes sont insaisissables, plus on s’en approche et plus elles s’éloignent. Si le promeneur est patient peut être y verra-t-il une biche s’évaporer dans ce mur aqueux. Sur les haies de grandes toiles d’araignée parsemées de gouttes de rosée reflètent des arcs en ciel éphémères. La nature réinvente toutes les couleurs du jaune clair aux ocres les plus foncés, comme pour rendre au soleil ses nuances spectrales emmagasinées.
L’odeur aussi est spécifique, la terre surchauffée laisse échapper des parfums de décomposition et les labours délivrent des relents enfouis d’une année passée. S’il vient à pleuvoir alors c’est un festival de senteurs toute plus fortes les une que les autres; on peut percevoir des parfums de noisettes, de glands ou de châtaignes. 

L’automne était dans ma jeunesse tout une panoplie de rituels.

D’abord c’étaient les foires ; nous nous levions tôt car comme disait mon père « c’est le matin de bonne heure que tout se passe ! » nous partions donc au lever du soleil, souvent nous enfonçant dans un brouillard annonciateur d’une belle journée. Après avoir garé la voiture dans un champ, nous descendions là où le monde des éleveurs s’était donné rendez-vous. Avant d’arriver, une odeur animale, faite de musc, de sueur, de bouses et crottins, vous prenait les narines. Attachés à une grande corde qui courait tout le long du champ de foire, des centaines de vaches ici, de chevaux ailleurs se demandaient qui pouvait bien troubler leur tranquillité habituelle. Des personnes tâtaient le cul ou le pis des vaches, ouvraient la gueule des chevaux ou soupesaient  les moutons. Les maquignons, reconnaissables à leur blouse noire, sortaient leur portefeuille d’où de grosses liasses pendaient; les transactions, après discutions animées, étaient soldées rubis sur l’ongle. Les éleveurs attendaient accotés à une grosse canne de coudrier la cigarette maïs éteinte à la bouche et une casquette sur la tête. De tous temps ce sont les chevaux qui me fascinent, je pensais que si toutes ces masses de muscles se mettaient à tirer sur la corde rien ne pourrait les arrêter. Ces animaux piaffaient, renâclaient et secouaient la tête dans un bruit métallique produit par leur licol. Un nuage de vapeur se dégageait de leur dos dans ce froid matinal. L’instant le meilleur  pour nous, enfants, était la partie de manège que l’on effectuait. Je préférais toutefois le déjeuner, vers dix heures nous nous installions sous une tente ou trônaient de grandes tables en bois cernées de bancs du même «métal». Nous prenions place et là, on nous apportait un gigot d’agneau cuit devant nous à la broche. Le goût était magique et la viande fondait dans la bouche. Mon père et ses trois copains qui dépassaient tous le quintal n’étaient pas rassasiés avec un seul gigot. La foire se terminait dans cette ambiance festive où la chair et le vin venaient rougir les visages, mon père résumait souvent ces moments par un «on a bien vit ! »  Patois local qui voulait dire « on a bien vécu! » ou mieux « nous avons passé un bon moment!".

Ensuite c’était la chasse. L’ouverture était une fête. Les chasseurs étaient vêtus de leurs plus beaux atours ; des bottes de caoutchouc, enfermant un pantalon de toile verte lui-même ceinturé d’une cartouchière remplie que cachait en partie une grande veste de treillis; cette dernière était pourvue d’une grande poche dans le dos ouverte de chaque côté pour accueillir un gibier hypothétique. Un fusil rutilant, astiqué pour l’occasion, venait terminer la panoplie. Il ne fallait pas oublier le coéquipier indispensable qu’était le chien. Je me rappelle la chienne de mon père, elle s’appelait Rita. Elle n’avait plus que trois pattes; un accident de faucheuse. Lorsqu’elle voyait son maitre sortir son fusil, elle était folle, courait partout, sautait sur les jambes de son patron, partait déjà et revenait ne comprenant pas pourquoi on n’y allait pas maintenant. Le soir elle revenait fourbue, les oreilles et son moignon en sang d’avoir traversé des buissons d’épines pour déloger un lapin apeuré. Évidemment, comme toutes choses ici, cette ouverture de chasse entrainait des petits déjeuners aux tripes arrosés de vin blanc; combien de lapins ont évité  la mort grâce au bon entrain des chasseurs; je n’ai pas entendu parler pour autant d’accident. La journée ponctuée de détonations dans la campagne se terminait à la nuit tombante avec des récits plus extraordinaires les uns que les autres.

Il y avait la récolte des pommes. Pays du cidre, beaucoup de pommiers ornaient les cours et les champs des fermes, à l’automne il fallait donc ramasser ces fruits. C’étaient les jeunes qui étaient à l’ouvrage en premier, nous devions grimper dans l’arbre afin de le secouer avec énergie pour faire tomber les pommes. Un minimum de connaissances sur la fragilité des branches était nécessaire  sinon la chute était inévitable. Ensuite, armé d’une longue perche de bois (appelée gaule) au bout de laquelle était fixé un crochet de fer, nous attrapions les petites branches pour les secouer. La suite était plus longue, il fallait ramasser les pommes, une à une,  à la main dans l’herbe plus ou moins haute et les mettre dans des paniers en fer. Le panier plein nous le vidions dans de grands sacs de toile. Ces fruits ramassés, nous les transportions dans un grenier. Après Plusieurs jours  un spécialiste venait avec sa presse mobile. Nous vidions les fruits dans un broyeur, le résultat était stocké dans de  grosses toiles entassées les unes sur les autres. Une presse écrasait ces toiles et le jus suintait entre leurs maillages.  Le jus était pompé et vidé dans de gros tonneaux en bois; il restait donc un magma sec et tassé qui contenait la chair et la peau on le dénommé  le « marc », ce dernier était particulièrement apprécié des bovins. Rien n’était perdu. Le jus, délicieux nectar, restait dans les tonneaux à macérer pour devenir du cidre. Plus tard nous en mettions une partie en bouteille pour  faire du « cidre bouché », breuvage pétillant recherché l’été, remplaçant la bière dans nos contrées. Plus tard encore un bouilleur de cru venait pour transformer le reste du cidre en calvados.

L’automne s’écoulait au rythme de ces activités et déclinait de frimas en  frimas pour laisser la place à un hiver qui mettrait cette nature au repos.

samedi 12 novembre 2016

Et Léonard s'en va

  Et Léonard pleure sa musique lancinante
Des images volent dans mon imaginaire
Me nourrissant de sa poésie enivrante
Je communie ne comprenant que son air

Plus que les mots la musique déclame
Je me suis forgé une poésie à écouter
Ces chansons que l'on disait sans âme
Je les recrée en moi pour m'évader.

Et Léonard chante Marianne
Il s'illumine et s'enflamme
il est prêt à vendre son âme
Et Léonard s'enfuit avec Suzanne

La musique m'a permis la survie
Une nourriture, un souffle, un besoin
Dans mon parcours elle m'a suivi
M’accompagnant, m'envoutant  au loin

Et Léonard chante l'oiseau sur le fil
Il réclame un peu de liberté
Des âmes il change le profil
S’envolant vers l'éternité.
hallelujah!

C’était il y a trente ans