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jeudi 26 septembre 2019

Le Surgé

  La cloche sonne la fin de la récréation. J’ai encore la bouche pleine de ce réglisse enroulé autour d’un bonbon que l’on vend dans la cour. L’alarme donnée, il faut se mettre en rang devant le grand bâtiment en pierre de cinq étages.

Les rangs sont ventilés par classe, des sixièmes aux terminales. Nous faisons face à un perron où trône le « Surgé » Contraction de surveillant général. Petit homme en tenue de prête. C’est son moment de gloire ; avoir tous ces jeunes devant lui, le grandit, pourrais-je dire.  Personne ne parle malgré un petit bourdonnement.  Même ce type de première qui me fascine par son aura, il se détache de tout le monde jusqu’à penser qu’il peut monter sur le perron et bousculer le surveillant. Plus tard je reverrai ce genre de type qui rentre en réunion en suscitant le silence et par de là, le respect.

Le moment de gloire du pion continue car chaque rang monte le perron et passe devant lui, tête baissée, pour aller se dispatcher dans les différentes classes. On l’appelle Surgé, quoique je lui aie attribué le sobriquet de « corbeau », l’ayant vu un soir avec sa cape noire volant au vent. Pendant un cours j’ai d’ailleurs adapté la fable de La Fontaine «  le corbeau et le renard »  parlant de ce type et son rapport aux élèves.

Pendant les cours il erre dans le hall, regardant à travers les vitres des fenêtres; si quelqu’un est dissipé au moment de sa ronde, le petit homme surgit dans la classe et attrape le fautif par l’oreille le trainant au dehors, devant le regard ahuri du professeur. Pas  besoin de préciser que l’indiscipliné va passer un mauvais quart d’heure. Cela peut aller de rester à genou sur une règle carrée une demie heure, se faire trainer par les cheveux ou ramasser des coups  de cette même règle en fer sur les doigts.
Le catalogue des sévices grandit au fil des saisons mais vous n'avez pas le droit de choisir dans la liste. Il a pour lui une force extraordinaire. C’est un tortionnaire, assouvissant une soif de violence et certains d’entre nous sont tétanisés devant cette brutalité. Il a du faire ses classes pendant la guerre d’Algérie (suspicion qui n’engage que moi et m'éloigne du propos!).

Il a ses têtes, têtes de turcs, ce sont souvent les mêmes qui y passent. Inutile de préciser qu’au delà d’une certaine classe, les élèves sont tranquilles, seuls les sixièmes et cinquièmes l’intéressent;  quelque fois un quatrième y passe mais encore faut-il qu’il soit en retard de croissance.
Il peut sévir pendant les pauses en « condamnant » les gens à une demi-heure de "mur", punition qui consiste à longer un mur aller retour pendant un temps donné, le temps dépend de la gravité de la faute et surtout de l’humeur de ce monsieur.

Le Surgé aurait été capable de nous mettre une pancarte autour du coup comme on le faisait pendant la révolution culturelle de Mao pour bannir (encore une référence tendancieuse!).

Je m’étonne toujours de certains garçons qui, malgré le danger, continuent d’oser se dissiper.

Comme ce type qui, le professeur lui disant de prendre la porte, dépend cette dernière et demande « je la mets où ? » Cette blague a son effet mais le prix a payé est très fort.

Une autre fois à l’étude entre 17h et 19h (alors que le lycée public d’en face est vide depuis longtemps) nous sommes surveillés par un prêtre âgé. Assis à son bureau sur l’estrade, il lit, mais bien vite pique du nez. Le jeu est d’aller tourner quelques pages de son livre avant qu’il ne se réveille. D’un claquement de main nous réveillons le surveillant qui, scrutant la salle se demande s’il a rêvé puis reprend sa lecture un  peu interloqué. Cette fois le renard est tapi derrière la vitre. Avant que l’élève ne reprenne sa place il est happé par les tentacules du « monstre » et trainé vers la sortie; le surveillant se réveille et, découvrant ce chambard, veut se lever et tombe de sa chaise sous les hourras des spectateurs. Le lendemain nous tous faisons le mur, pas la belle mais ce que j’explique plus haut.

Je suis toujours subjugué par cette forme de violence  qui, pour moi dénote d'un refoulement de quelques accidents de la vie (psychologue s'abstenir!). D'autres camarades n'essaient pas de lui trouver quelqu’excuses, pour eux c'est un combat de tous les jours.

Mon père voulait un collège privé pour la discipline, il avait frappé à la bonne porte.
Ma chance est que je suis grand pour mon age.

Maitre Surgé sur son perron perché
Tenait en ses mains un otage
Maitre Ecolier en rang installé
Réprimait un tel flicage….