samedi 12 novembre 2016

Et Léonard s'en va

  Et Léonard pleure sa musique lancinante
Des images volent dans mon imaginaire
Me nourrissant de sa poésie enivrante
Je communie ne comprenant que son air

Plus que les mots la musique déclame
Je me suis forgé une poésie à écouter
Ces chansons que l'on disait sans âme
Je les recrée en moi pour m'évader.

Et Léonard chante Marianne
Il s'illumine et s'enflamme
il est prêt à vendre son âme
Et Léonard s'enfuit avec Suzanne

La musique m'a permis la survie
Une nourriture, un souffle, un besoin
Dans mon parcours elle m'a suivi
M’accompagnant, m'envoutant  au loin

Et Léonard chante l'oiseau sur le fil
Il réclame un peu de liberté
Des âmes il change le profil
S’envolant vers l'éternité.
hallelujah!

C’était il y a trente ans

vendredi 12 août 2016

En attendant les mots croisés

  Aujourd’hui c’est Vendredi.
Le Vendredi était un jour particulier pour Maman. Elle recevait les mots croisés d’Ouest-France. Des mots croisés de Laclos relativement compliqués. Si le journal venait à manquer la journée était gâchée. Son premier travail était de me les envoyer par mail, elle ne manquait jamais ce rituel. Après elle n’était plus joignable jusqu’à ce que la grille soit remplie.
Aujourd’hui j’ai ouvert mes mails. Les mots croisés n’y figuraient pas. Ils n’y figureront plus jamais d’ailleurs!. Ce n’est pas le fait des mots croisés, je ne les faisais pas toujours, de temps en temps seulement. Ce qui me manque c’est autre chose une ambiance, une atmosphère. Ce genre de choses qui deviennent des souvenirs s’éloignant de la réalité au fil des jours s’égrenant.  C’est bizarre lors de la perte de quelqu’un de cher, on s’accroche à des choses que l’on ne voudrait pas oublier, des moments qui retiennent la personne disparue à portée de pensée.
L’usure du temps rognera petit à petit ces souvenirs. C’est ainsi, le cerveau est bien conçu il n’est pas brutal, il évapore la personne disparue comme le brouillard se dissout dans un matin d’automne. Même en s’accrochant à ces sensations, le rythme du temps fait que, comme sur une route, on s’éloigne de la présence de l’être disparu. C’est sûrement mieux ainsi, la vie continue sa course inexorable. Des bribes reviendront de temps en temps nous rappelant les atmosphères dont je parlais plus haut.
Ces derniers temps, signe d’une fatigue implacable, Maman avait plus de mal à finir sa grille et malgré sa hargne connue, il lui arrivait plus fréquemment de jeter l’éponge avant la fin. Son dernier geste à la table a été de remplir quelques cases d’une grille a jamais terminée.
Voilà ce n’est qu’une histoire de mots croisés, c’était une partie importante de la vie de Maman.

mercredi 27 juillet 2016

La mort n’est pas une fin en soi.

  Nous ne savons rien du devenir de la personne décédée, beaucoup de gens en ont tué beaucoup d’autres pour imposer leur façon de voir la mort.
Pour les proches, pour qui le début d’une autre vie commence, ce n’est pas une fin en soi.
Bien sûr la vie ne va pas être bousculée mais cet événement va modifier son contexte et du jour au lendemain il faut intégrer ce changement.
La famille est une chaine avec pour maillons les personnes, quand  le maillon le plus vieux  tombe la chaine reste solide. C'est plus grave lorsque qu’un maillon du milieu tombe, la chaine devient plus fragile.

Nous apprenons beaucoup de nos parents.
Ces dernières années j’ai appris beaucoup sur ma mère. Elle me racontait des fragments de sa vie comme des puzzles à reconstituer. Je me suis posé la question de savoir pourquoi ces épisodes arrivaient parcimonieusement comme s’il y avait de la pudeur et que point trop fallait en dévoiler à chaque fois. Je me suis aperçu malgré tout qu’elle avait vécu de bons moments, ce dont je doutais, en espérant que ce ne soit pas que de la nostalgie. Elle m'a permis de pouvoir raconter certaines histoires.

Maman avait un dictionnaire de dictons implacables qui lui régulait sa vie.
J’en citerai  quelques-uns : Il y a plus malheureux que nous ; à un cheval donné on ne regarde pas la dent, on fait ce qu’on peut pas ce qu’on veut, c’est le bon dieu qui décide, c’est le destin, il faut mériter sa vie enfin ce dernier, je ne sais si elle le disait mais elle me l’a imposé. Je me battais quelques fois avec elle lorsqu’elle lançait ces flèches empoisonnées en lui disant qu’elle pouvait jouer sur le curseur de sa vie et essayer de voir les choses avec optimisme. C’était peine perdue. On ne peut pas donner du bonheur à quelqu’un malgré lui ; juste un peu de confort; c’est un regret que j’aurais.

Cette façon d’être lui a été inculquée dès son enfance je pense, elle a su qu’elle serait la remplaçante d'une sœur décédée. Il n’était pas question de psy dans son monde.  Ce caractère forgé comme un maréchal ferrant tord le fer la poursuivra toute sa vie. En ce qui me concerne en tant qu'enfant peut-être lui manquait-il un peu de fibre maternelle? mais elle a tout fait pour que l’on soit bien.

Elle aura connu la majeure partie de l’évolution du vingtième siècle.

Elle a quitté le monde paysan du 19eme siècle pour entrer en  pleine révolution industrielle. Elle a subi l’occupation allemande dont elle disait ne pas en avoir souffert. Après c’étaient les bonnes années à la ferme ou un monde grouillait avec une convivialité à jamais perdue. A cette époque les parents étaient patron.  Puis la mécanisation est arrivée, les commis et hommes de journées sont partis à l’usine et la banque est devenu le patron (impersonnel comme disait Steinbeck)  Maman a eu du mal à l’accepter elle s’est retrouvée enfermée seule dans sa salle de traite, comme à l’usine, se rappelant la traite aux champs avec les gens chantant et discutant sans arrêt. J'ai appris cette abnégation à cette époque et l'ai vraiment vue basculer dedans. 

On aurait pu la croire réfractaire à l’évolution mais quand ses petits enfants ont débarqués chez elle avec leur GameBoy elle a décidé d’en acheter une afin de partager des choses avec eux. Puis elle a poussé son mari à l’emmener aux cours d’informatique et c’était une fierté quand j’en parlais à mon travail. Elle avait un côté artiste, tricotant des pulls qui ont fait les beaux jours des écoles jusqu'à Paris. Sur l'ordinateur elle confectionnait ses cartes de tables pour les fêtes.

Pour Maman la vie devait se mériter et même dans ses loisirs il y avait une abnégation qui me faisait froid dans le dos.
Je ne voudrais pas la quitter sans me souvenir de son humour sans en avoir l’air. De Nicole sa personne de compagnie elle disait : "elle me raconte la vie à l’extérieur c’est mon Google à moi"
c'est sa dernière blague il y a tout juste quelques jours.

Voilà cette génération a vécu beaucoup plus de choses que nous ne pourrons en vivre et j'espérais encore la questionner sur cette époque car il ne reste plus beaucoup de témoins.
Pour ceux qui croient, maman est partie retrouver son mari avec lequel je me souviens d'un couple heureux et complémentaire.

Dans tous les cas elle doit reposer quiète et en paix avec la vie.

dimanche 20 mars 2016

Digression autour d'un bouchon

  Je me réveille, m’assois au bord du lit et tend la main vers la bouteille d’eau. Je dévisse le bouchon, il quitte ma main et va rouler sur le sol je l’entends continuer sa course pendant quelques secondes.
Ne le voyant pas sur le sol, je pense qu’il a du se cacher sous le lit. Avec mon mal de dos je ne peux pas me baisser et décide donc de pousser le lit. Je me cogne les doigts de pied ; je ne sais pas si vous avez essayé entre le lit et vous c’est toujours le lit qui gagne. D’un geste brusque je me retourne et là c’est mon coude qui attaque la bibliothèque, encore perdu. Ce sont toujours les objets inertes, semble-t-il, qui remportent la victoire ou alors ils sont plus durs à la douleur que nous?

A partir de ce moment, une personne ayant toutes les capacités nécessaires de  la réflexion devrait s’arrêter. La loi de Murphy est claire sur ce point : dans le monde il y a  toujours quelqu’un pour emprunter la voie de la catastrophe.

Donc deux solutions. La première est de se dire « le bouchon peut continuer sa course folle à explorer tout l’univers sombre des dessous du lit je m’en fiche ! » La deuxième, plus hardie et revancharde, est de se dire «je ne me suis pas fait mal pour rien je continue le combat ! » mais comme il est dit plus haut les choses gagnent souvent à ce jeux. A ce moment je pense, je ne sais  pourquoi ? À cette association qui collecte les bouchons en plastique et me dit « Je les plains ! tous ces bouchons qui roulent partout, bon pas sous le lit, mais dans tous les coins ! » Peut être pourrais-je  les contacter pour monter une association des victimes de ces ronds de plastique? Heureusement la loi de Murphy ne prend pas en compte le coté comique de ces situations il faut toujours avoir un peu d'autodérision pour relativiser.

Avec de la chance un jour je vais marcher dessus pieds nus, m’ouvrir le pied et boiter pendant deux jours. Je dis « avec de la chance ! » ce serait plutôt de la malchance. Certains diront «Lui, il n’a pas de chance ! » Alors là je dis « non ! » j’ai horreur qu’on dise « tu n’as pas de chance! » comme si la malchance avait un côté définitif, tu ne peux pas lutter contre. Comme si lorsque tu nais une bonne fée se penche sur ton berceau et avec sa baguette elle te dit « tu seras chanceux ! » alors que pour d’autre  il n’y avait plus de fée disponible ils envoient donc une stagiaire qui, ne connaissant pas le boulot, prendrait sa baguette à l’envers au moment de prononcer sa phrase magique. Il est vrai aussi que pour avoir des chanceux il faut des malchanceux quelqu’un qui gagne au loto est chanceux grâce à tous les malchanceux qui ont perdu. Je suis persuadé que la chance tourne.

Tout ça pour dire que je ne crois pas à un état dont on ne pourrait aller contre.

Le bouchon n’a qu’à continuer sa vie de son côté, un jour un aspirateur l’avalera se sera un juste retour des choses, là la chance aura tourné pour lui. Je pourrai me consacrer à aller de l’avant vers d’autres aventures, plus dangereuses les unes que les autres, et, avec un peu de chance, je survivrai.

dimanche 28 février 2016

Quincet

  Devant sa porte trônait un superbe pissenlit. Il me disait « tous les matins je pisse dessus ; il n’y a rien de tel pour le faire pousser ». J’étais un peu écœuré mais force était de constater que c’était le plus beau pissenlit à la ronde.
On l’appelait Quincet, son vrai nom, je n’ai jamais entendu son prénom ou bien je l’ai oublié.
C’était un clochard comme il en traine dans les campagnes, vêtu d’un  pantalon et d’une veste de toile bleue; casquette sur la tête on le repérait de loin; beaucoup s’en écartaient, l’errance et la pauvreté pouvant être contagieuses. Dans notre monde agricole fin des années cinquante beaucoup de croyances habitaient encore les âmes du village et il n’était pas rare de voir des femmes se signer quand elles croisaient ce genre d’individu.

Il avait travaillé un peu chez mon père mais le boulot et lui ne faisait pas bon ménage. Il a donc décidé de vivre de rapine et de l’aide des gens faisant de temps en temps un peu de jardinage. Mon père lui avait cédé un bout de bâtiment; nous avions trouvé un vieux poêle, une gazinière et un matelas et dans son deux pièces il semblait sinon heureux du moins à l’aise.
J’avais dix ans et j’allais le voir de temps en temps. Chez lui, c’est l’odeur qui m’importunait un peu; il y avait de vieux journaux et avec l’humidité cela sentait le moisi agrémenté de sueur pigmenté de saleté aussi. Il me fascinait un peu par son choix de vie, il semblait libre par rapport à mes parents qui trimaient. Raillant les gens pressés et accaparés par leur travail, il avait le beau rôle, même en situation précaire. Dans mes yeux d'enfant il avait raison.

A l’aube de l'adolescence je me posais des questions sur ce que je deviendrais et voir un homme qui avait décidé de rester à ne rien faire me faisait rêver et peur à la fois. Comme beaucoup de gens dans son cas, il philosophait à ses heures perdues. Il avait bourlingué, connaissait la capitale et d’autres contrées. Je restais donc là, assis sur la marche de pierre un peu fraîche, à l’écouter me raconter ses aventures qui s’enrichissaient au fil des récits. Le but était de voyager dans ses pensées et si parfois il s’évadait de la réalité en l’enjolivant,  je restais complice de ses errances. Au début des années soixante on avait une vision un peu réduite du monde que nous donnaient deux chaines de télévision aseptisées; lui  me faisait voyager à sa façon, me montrant d’autres endroits que celui du travail où je baignais déjà petit. A la ferme nous sommes confrontés au monde professionnel tôt car nous vivons sur le lieu même du travail de nos parents. C’est donc le coté  baroudeur et l’aventurier qui me faisaient rêver en entendant ses récits rocambolesques. Je ne me rappelle plus dans quelles régions il disait avoir posé ses pas, il ne m’en reste que des images floues mais pleines de mystères qui entretenaient mon imagination débordante.

Parfois il faisait une descente dans la cave et ivre de cidre il devenait méchant, insultant mon père qui l’avait aidé. Ces jours-là, la magie ne fonctionnait plus entre nous, mes rêves se brisaient sur la dure réalité du présent, je comprenais que la vie est autre que celle qu’il voulait bien me décrire. Il me faisait même peur voulant se battre avec mon père, la violence de ses paroles me glaçait. Comment ses mots pouvaient distiller tant de haine. Puis les jours passant je retournais le voir, il ne semblait pas se rappeler ses colères et débordements; peut-être accumulait-il la rancœur de sa pauvreté comme un carburant qu’il devait libérer au risque de ne plus accepter sa condition.

Un jour il me montra un gros clou planté dans la poutre qui traverse sa pièce il me dit : « tu vois c’est là qu’un jour je me pendrais quand je ne pourrais plus! »  Je ne comprenais pas pourquoi un jour « il ne pourrait plus!» n’ayant que la vision d’un enfant innocent des accidents de la vie. Plus tard, j’avais vingt ans, j’étais au service militaire, ma mère m’écrit « Quincet s’est pendu à la poutre de sa maison c’est ton frère qu’il l’a découvert et ton père l’a dépendu !». Seul mon père et mon frère ont suivi son corbillard jusqu’à sa dernière demeure.

Le peu d’innocence qu‘il me restait est parti avec lui ce jour-là. Bien sûr ce n’était que Quincet, un clochard, mais parfois on peut avoir des rencontres qui vous marquent même si elles paraissent insignifiantes  à l’aune d'une vie. Quelque chose quelque part à l’intérieur de moi reste et vient me rappeler de temps en temps qu’il y avait chez nous un clochard qui vivait là.

 Il se nommait Quincet.