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mercredi 19 décembre 2018

Ultime voyage

  Je roulais doucement, dans un silence pesant. Mes passagers ne disaient rien, je faisais attention à eux, évitant les trous, prenant les virages lentement afin de ne pas trop les secouer. Je voyais le soleil poindre en haut de la colline et ça m'inquiétait.

Tout a commencé ce matin.

Je revenais des vaches comme on dit avec ma femme et le commis. Elle était là assise sur la margelle du puits devant la maison. Tout de noir vêtue comme sont les vieilles en général mais là son habit signifiait autre chose.
- Bonjour Henri déclara t-elle d'une voix rauque.
- Bonjour Germaine répondis-je, entrez prendre un café!
La faim commençait à me tirailler, levé depuis 3 heures avec un seul café dans l'estomac. Une fois installés à la grande table en chêne de la cuisine, après les conversations d'usage sur le temps et les récoltes, germaine enchaine:
- Henry tu sais le malheur qui m'arrive!
Ce n'était pas une question car tout le bourg avait appris la nouvelle la veille au soir à savoir que la fille de Germaine et son gendre avaient eu un accident de voiture. Ils étaient tombés dans l'orne, le fleuve qui se jette dans la Manche.
- Oui Germaine mes condoléances dis-je.
- Ma fille et mon gendre sont restés au village à une trentaine de kilomètres d'ici tu es un des seuls à avoir une voiture, j'aimerais que tu viennes les chercher avec moi et les ramener dans ma demeure avant l'enterrement.
- C'est pas rien ce que vous me demandez là Germaine, je n'ai jamais transporté de corps! ça se prépare!
- Je le sais bien mais là nous sommes pris par le temps et ça presse; je veux les veiller ce soir avant la cérémonie de demain.
- Laissez-moi manger un morceau et on se met en route.

Après m'être restauré et avoir mis le nécessaire dans la voiture nous sommes partis. Nous avons pris la route de la suisse normande, ainsi appelée par le paysage vallonné et vert ressemblant à la Suisse. Germaine restait muette; je me demandais comment entamer la conversation. Rien ne me venait à l'esprit que des choses banales et futiles vu le contexte. Elle était digne comme la plupart des gens de la campagne. On ne laisse pas apparaitre les émotions; ce n'est que lorsqu'on a rejoint le fleuve qu'une larme a coulé sur son visage suivant les rides de sa vie de labeur.
- A fallu que ce fleuve me prenne les deux vies les plus chères déclama t-elle
- Je sais Germaine je ne peux que vous aider dans votre malheur, je ne pourrais pas vous soulager.
- Merci c'est déjà bien de m'aider

La route sinueuse défile devant nous,le printemps a repeint le paysage et l'air sent le renouveau. Une heure après notre départ nous arrivons à destination.
- Ils sont à la mairie m'indique Germaine.
Une fois sur les lieux il nous fallut aller chercher le maire qui travaillait dans son champ, s'en revenant à pied il nous raconta comment se sont passés les événements. Vers l'angélus un pécheur au bord de l'orne entend un coup de frein et voit une voiture plonger à une centaine de mètre de lui. Il court sur les lieux tout en disant à un passant d'alerter les pompiers. Quand il arrive, la voiture n'est presque plus visible, il se dévêt et plonge, mais ce n'est pas un bon nageur. A plusieurs reprises il essaie d'atteindre la voiture et au bout d'énormes efforts il y parvient, malheureusement il n'arrive pas à ouvrir les portes ; les personnes à l'intérieur sont inconscientes. Après dix minutes le pécheur renonce, les pompiers arrivent 30 minutes plus tard et ne peuvent que remorquer la voiture sur la berge. Les gendarmes constatent le décès des deux passagers et ayant trouvé les papiers avertissent le maire du village de Germaine. En attendant les corps ont été entreposés dans la salle de mariage de la mairie. Arrivant dans la pièce nous voyons les deux corps allongés sur des tables. Les corps enveloppés dans des draps blancs furent installés sur les sièges arrière de ma voiture.
Et nous voilà reparti avec la macabre compagnie!

Je jette de temps en temps un coup d'œil dans le rétro à un moment je vois les corps qui se sont rapprochés comme pour ne plus se quitter dans leur nouveau monde. J'aperçois donc le soleil poindre à l'horizon et me dit que s'il fait trop chaud la ventilation ne suffira pas et se sera une catastrophe en arrivant. Germaine elle, parait soulagée d'avoir retrouvé ses enfants, ses traits se détendent et le sentiment du devoir accompli lui épanouit le visage. Devoir accompli pensais je! Pas encore, l'expédition commence. Ma vitesse réduite me fait l'honneur des avertisseurs, et une file de cinq ou six voitures se forme derrière moi à cause de la sinuosité de la route. Avec les klaxons on pourrait croire à une procession de mariage pensé-je en souriant malgré moi. N'en pouvant plus je me mets sur le bas-côté pour laisser passer les voitures. Je décide d'accélérer un peu, je ne peux avoir un cortège derrière moi.
- On pourrait peut-être dire une prière réclame Germaine rompant le silence.
- Dites ce que vous voulez mais moi je conduis je ne connais pas de psaume. Je préfère que vous le fassiez tout bas afin que je reste concentré.
Malgré mes recommandations j'entends ma passagère psalmodier des invectives moitié latin moitié patois tout cela accompagné de signes de croix. J'ai toujours eu du mal avec les bondieuseries, j'ai tellement vu de choses, je me dis que le destin de l'homme lui appartient et qu'une fois mort on est mort un point c'est tout. Mais je laisse la femme se réconforter avec tout ce qu'on lui a appris.

Au loin j'aperçois des motards de la police et pense que les ennuis ne sont pas finis.

Un gendarme me fait signe de me ranger sur le côté de la route. "Contrôle des papiers ordonne-t-il!"
- Vous transportez quoi sous ses draps derrière ?
- Deux cadavres que je remmène à la maison.
- Deux cadavres? Mais vous n'avez pas le droit, vous avez des papiers en règle pour cela?
- Ben non on ne nous a pas dit et de plus le temps presse.
- Le temps presse plus pour ceux-là en tout cas répond-il! avec sa logique administrative.
A ce moment la radio sur la moto se met à crépiter il court et prend le micro. Un instant après il revient vers nous.
- vous avez de la chance une urgence je dois partir; allez-y!

De la chance pensais-je il se moque de moi.
- Ces poulets ils sont toujours là pour embêter les braves gens déclame Germaine.
- Bon! Ils sont là pour faire leur boulot.
On arrive à la grande ville.
- On pourrait s'arrêter boire un verre Henri il fait soif!
- ça va pas Germaine on ne va pas laisser les corps seuls dans la voiture vous perdez la tête!
- Je disais ça moi, c'est pour vous; pour vous remercier.
- Comprenez que la chaleur arrive et qu'il faut déposer les corps le plus rapidement possible.

Je continue la route dans un silence. Germaine semble vexée. En fait ce voyage semble lui plaire, elle n'est plus seule et cela rompt la monotonie de la vie qu'elle mène.

Arrivé à destination je me coltine les deux corps et les étend sur leur lit. On les dirait endormi. C'est ce qu'ils sont, endormis à jamais côte à côte. Germaine pleure dans sa cuisine en préparant le café.
"Je n'ai même pas quelque chose à vous donner à manger"
- Vous inquiétez pas va! Je ne suis pas loin de la maison.
- Vous allez pas me laisser seule avec ces deux-là!
- En passant je vais voir Gustave il va venir avec sa femme.
- Je vous remercie d'avoir fait tout ce chemin avec moi je n'aurais pas pu le faire et je vous en suis redevable.
- Redevable de rien si on ne se sert pas les coudes quand il y a un malheur où va le monde? Pleurez vos enfants et laissez les autres faire le reste.

Je sors. Le soleil est à son zénith me redonnant le courage pour partir finir ma journée.

Le soleil est la vie derrière moi est la mort.